L'équipe derrière le jouissif The Favourite se réunit autour de Poor Things, un film encore plus disjoncté qui s'est mérité le Lion d'Or à Venise.
Ce conte de fée débute à la façon de Frankenstein, alors qu'un inventeur (Willem Dafoe) tente d'élever du mieux qu'il peut sa création, élaborée en greffant le cerveau d'une mère décédée à son foetus! Au fil du temps, Bella (Emma Stone) se révèle un être extraordinaire, mais limité devant le monde qui l'entoure. Il n'est pas surprenant qu'elle évolue dans un milieu en noir et blanc, en parfaite osmose avec la superbe photographie développée jusque-là.
Afin de prendre le pouls de l'univers, elle est invitée à accompagner un séducteur (Mark Ruffalo) dans ses voyages. Ce qui aurait pu donner une simple variation de Pygmalion prend le chemin inverse. D'abord naïve et innocente, Bella n'a besoin de personne pour se métamorphoser et devenir la femme qu'elle veut être. Peu importe les hommes qui se dressent devant elle, sa soif de découverte et d'émancipation est trop grande. Le long métrage féministe brille ainsi de mille feux, de couleurs qui ne se résorberont jamais.
Cette adaptation du roman d'Alasdair Gray par le scénariste Tony McNamara (The Favourite) prend la forme d'un récit picaresque. Celui qui tâte la moralité des êtres et de la société en explorant ses modes de gestion et de pouvoir (capitalisme, communisme, nihilisme...). On pense à quelques chef-d'oeuvres littéraires du même genre - comme Jacques le fataliste et Candide - ou encore les visions débridées de Terry Gilliam.
Le tout reçoit un traitement parodique que le brillant cinéaste Yorgos Lanthimos (The Killing of a Sacred Deer) affectionne particulièrement depuis Canine. L'humour noir et les dialogues truculents coulent à flot, permettant au réalisateur grec de signer son oeuvre la plus drôle et mordante depuis The Lobster. Il n'hésite pas à en mettre plus que le client en demande afin de le déboussoler complètement.
Cette tendance se répercute sur sa mise en scène, à la fois lourde et brillante, qui se révèle aussi chargée qu'inventive. Sa recréation d'un monde steampunk force l'admiration. Son esthétisme foisonne de détails et plaira aux amateurs de fantaisie et de science-fiction. Les images de Robbie Ryan (fidèle collaborateur d'Andrea Arnold et de Ken Loach) y sont extraordinaires, tandis que les mélodies viscérales de Jerskin Fendrix font battre le coeur plus rapidement.
Tous ces stimulus représentent les pulsations de vie de l'héroïne. Ils ont toutefois tendance à prendre le dessus sur l'histoire, à détourner l'attention. À quoi bon offrir la prise de vue la plus originale et la plus élaborée si elle n'amène strictement rien au final? Abondants, les effets spéciaux laissent béats lorsqu'ils donnent une forme nouvelle aux animaux, mais finissent par saouler en étant utilisés à toutes les sauces.
Le film n'a pas besoin de tous ces éléments tape-à-l'oeil, car il peut compter sur une actrice brillante. Emma Stone trouve un de ses plus beaux rôles en carrière, modulant à la perfection son jeu, se révélant une poupée de cire, poupée de son dévergondée. Sa façon de se comporter avec Willem Dafoe (parfait, avec ou sans maquillage) ou de danser avec Mark Ruffalo (irrésistible) fait instantanément sourire.
Sans être aussi mémorable que les précédents opus de son metteur en scène, Poor Things n'en demeure pas moins une création hilarante et haute en couleur, qui présente une fabuleuse protagoniste comme on en voit trop peu au cinéma. Ce sont ses excès - de style, de ton, de durée - qui l'empêche d'être un des meilleurs films de l'année.