Parmi les duos les plus insolites du septième art contemporain se trouvent Dominique Abel et Fiona Gordon. Les voici de retour devant et derrière la caméra du très ludique Paris pieds nus.
Le premier incarne un sans-abri égoïste et la seconde, une touriste canadienne de passage dans la Ville Lumière. Ils ne se connaissent pas encore, mais leur rencontre risque de faire des étincelles.
Depuis quelques décennies, Abel et Gordon enchantent les spectateurs. Formés à la scène, ils développent un humour poétique et burlesque centré sur la maladresse des êtres humains. Cet esprit duquel émane un univers visuel fort est au coeur de leur cinéma quasi muet, dans l'héritage des classiques de Buster Keaton, Max Linder et autres Charlie Chaplin. L'iceberg, Rumba et La fée se sont d'ailleurs avérés de véritables pépites cinématographiques.
Paris pieds nus n'est cependant pas fait du même bois. Si l'on reconnaît leur fascination pour les gags gestuels et les numéros dansés, l'humour ne fonctionne pas de la même façon. On sent leur imaginaire coincé dans une certaine répétition (ou manque d'inspiration), ne permettant pas toujours à cette fantaisie brute de prendre son envol. L'histoire volontairement clichée réserve des moments hilarants et d'autres qui ne lèvent pas totalement. Le récit a beau être plus personnel, il manque à ces comparses leur roue de secours qu'est Bruno Romy. Il semble que c'est lui qui solidifiait la magie, qui apportait une lucidité sociale et décalée à la Aki Kaurismäki.
Son absence ne se fait pas seulement ressentir au niveau du scénario, mais également de la réalisation. La mise en scène est moins lumineuse que d'habitude, plus académique malgré quelques intéressants jeux temporels. Par le passé, une construction rigoureuse à la Jacques Tati laissait béat. Maintenant, les coins sont coupés un peu plus ronds. Cela n'empêche pas le long métrage de séduire par sa vivacité et son originalité. Sauf qu'il aurait pu l'être davantage dans cette union espérée entre la forme et le fond.
Le développement du film à coups de hasard ne manque pas de faire sourire. Les personnages gravitent dans un espace souvent pittoresque fait d'errances et de rencontres. C'est à cet endroit qu'agissent les deux héros zigotos qui vont y vivre des péripéties assez inégales. Abel et Gordon connaissent ce genre de rôle par coeur et il faut chercher du côté de la distribution secondaire pour être comblé. C'est là que débarque la regrettée Emmanuelle Riva, protagoniste des inoubliables Hiroshima mon amour et Amour, qui est d'un naturel confondant. Sa chimie avec le clown triste Pierre Richard s'avère d'une beauté et d'une tristesse indicible, reléguant presque le reste du matériel aux oubliettes.
Il y a du style et de la grâce à revendre dans Paris pieds nus. On risque d'ailleurs de mieux apprécier ce film chaleureux en n'ayant pas vu les précédentes créations encore plus satisfaisantes des cinéastes. Sinon l'impression est forte de ressentir la redite, la recherche d'effet et la grande difficulté de se renouveler. C'est ce qu'on appelle un pas de côté, peut-être même en arrière.