Il est facile de reconnaître un génie lorsqu'on est en contact avec son art. Christopher Nolan fait partie de ces cinéastes supérieurs, visionnaires, qui font avancer le cinéma plutôt que de subir le triomphe de ses pairs. Memento a été, en 2000, une révélation pour plusieurs, une ouverture différente sur l'univers cinématographique, une élévation des possibilités narratives et conceptuelles, et c'est sans parler de sa réussite populaire - Batman Begins et The Dark Knight - grâce à laquelle il est parvenu à réinventer le concept même du film de super-héros, le métamorphosant en un être tourmenté, imparfait, sombre. Nolan nous présente aujourd'hui une oeuvre complète, qu'il peaufine depuis plus de dix ans (peut-on supposer qu'il ait dû prouver ses habiletés populaires avant qu'Hollywood lui octroie l'argent nécessaire à ses ambitions?). Une oeuvre complexe, certes, mais d'une manière constructive; tous les éléments nécessaires à la compréhension sont évoqués, il suffit d'être attentif et de se laisser emporter par l'imaginaire éclaté de ce prodige du cinéma.
Cobb est un espion industriel qui travaille dans les méandres de l'esprit. Lorsque les hommes sont endormis, ils se créent un monde imaginaire, à partir de souvenirs, d'idées nouvelles, que l'on appelle le rêve. Cobb et son équipe s'infiltrent dans l'esprit des dormeurs pour piller leurs secrets. Il reçoit un jour une offre qu'il ne peut refuser. Il partira avec ses complices dans l'imagination d'un jeune héritier pour tenter de lui inculquer une idée préconçue.
Plusieurs ont déjà comparé l'aspect plus philosophique du film, plus interprétatif à celui de La matrice, mais le long métrage de science-fiction des deux Wachowski, au niveau de la complexité de l'oeuvre était beaucoup moins stratifiée ou composite que ne peut l'être Origine. Même si tous deux jouent sur le principe de réalité parallèle, ils n'utilisent pas les mêmes avenues pour faire comprendre leur chimère. Origine développe sa thématique principalement grâce aux dialogues, mais plus l'histoire avance, plus des détails s'ajoutent aux théories de base et plus le spectateur doit être attentif à l'évolution du récit pour le comprendre. Mais ce désordre qui nous habite tout au long, cette confusion qui ne cesse de grandir plus les protagonistes s'enfoncent dans le rêve est profitable. Qui a dit que le divertissement s'arrêtait à un aspect récréatif? Origine est un divertissement intellectuel, un prétexte parfait pour permettre aux spectateurs de devenir actant. Le public n'est plus qu'un simple allocutaire, pour apprécier le film, pour satisfaire sa curiosité grandissante au fil des scènes, le cinéphile doit réfléchir, analyser, présumer.
Les effets spéciaux, utilisés avec diplomatie (leur omniprésence a un sens, une raison d'être) et réalisés avec dextérité, nous transportent encore plus profondément dans les méandres du cerveau humain. Ils ne sont pas que poudre aux yeux, ils sont instigateurs du reste de l'histoire et pourvoyeurs de réalisme. Les acteurs donnent une performance à la hauteur de la puissance de l'oeuvre. Leonardo DiCaprio prouve une nouvelle fois qu'il est au sommet pour les bonnes raisons, son jeu angoissé et pourtant téméraire sait nous transporter sans peine dans cet univers où la réalité ne devient qu'un concept superficiel et accessoire.
Nolan prouve, avec Origine, que des blockbusters peuvent être autre chose qu'une pelletée d'explosions au centre d'une histoire prévisible. Le cinéma, comme il tente de nous l'exposer, s'apparente à un rêve; on peut le contrôler, le manipuler, on peut même y implanter une idée convaincre la masse, mais il faut être un génie comme Nolan pour savoir quand la toupie cessera de tourner.