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Patchwork éparpillé pour sujet passionnant.
Le programme proposé par « Origin » est à la fois extrêmement ambitieux, alléchant et peu commun. La réalisatrice Ava DuVernay (« Selma ») tente de présenter à la fois une sorte de biopic romancé de la journaliste et écrivaine Isabel Wilkerson, première femme afro-américaine à recevoir un prix Pulitzer, durant l’écriture de son second roman qui revient aux origines du racisme. En faisant cela, le film et la cinéaste tentent lui aussi de décortiquer ségrégation, racisme, discrimination à l’égard de catégorie de personnes ou xénophobie. On est donc entre une œuvre de fiction pour les passages inventés, l’essai documentaire, la biographie en ce qui concerne la vie de Wilkerson durant cette période de création littéraire et le film à thèse qui rejoint celle qui sera développée dans le livre de la journaliste intitulé « Casts : the Origins of our Discontents ». Elle y développe l’idée selon laquelle toutes les discriminations raciales ou autres sont rendues possibles par un système de castes institué et par l’endogamie. Pour cela, elle dresse des ponts entre les systèmes de castes en Inde avec les Intouchables, la solution finale des nazis sur le peuple juif et les siècles d’esclavage en Amérique. Vaste programme, à la fois pertinent et intéressant mais difficile à mettre en place sur un film de deux bonnes heures.
Le résultat est donc à la fois captivant et passionnant mais aussi très dispersé et brouillon. On a l’impression d’assister à un patchwork d’idées placé sur une trame narrative qui prend maintes (trop peut-être) directions. En effet, on ne suit pas seulement la journaliste dans ses recherches (formidable Aunjanue Ellis) mais également le cas véridique d’un jeune afro-américain tué par un citadin raciste (fait déclencheur de sa thèse et balbutiements du mouvement Black Lives Matter) et des flashbacks illustratifs des conditions ou enquêtes de certaines personnes l’ayant aidée à formuler ses idées. Avec « Origin », on a donc des séquences durant l’Allemagne nazie, d’autres découlant des lois Jim Crow (promulguant la ségrégation raciale dans les États du sud) avec deux couples d’anthropologues et enfin celles au présent avec un Intouchable indien ayant écrit sur le même sujet. C’est plutôt bien assemblé et fluide dans le montage mais cette accumulation de temporalités, de personnages en bordure de l’histoire et de directions narratives frôle le trop-plein. On a parfois l’impression d’assister à un film pour débat sociologique après la séance ou sur un plateau télé. Une œuvre un peu trop didactique donc.
« Origin » est donc une œuvre fleuve et complexe dans ce qu’elle raconte tout en avancant une théorie particulièrement pertinente et tangible qui nous est bien expliquée ici. Mais la proposition offerte ici semble avoir toujours le cul entre deux chaises, sur la forme comme sur le fond. Et on ne peut nier que la réalisatrice a la main lourde sur la charge lacrymale rendant son film parfois encombré de trop de pathos et de misérabilisme. Il n’empêche certaines séquences nous touchent en plein cœur comme celle de cet enfant afro-américain qu’on empêche de nager avec ses camarades dans une piscine municipale à cause de sa couleur de peau. Au final, il y a une foultitude de moments forts, nécessaires même, articulés autour d’une théorie complexe et probante mais on dirait plus qu’on est face à un collage de moments éparses sur un même thème qu’à un vrai film de cinéma. Comme si, dépassée par son sujet, DuVernay n’avait pas su trancher. Ou que sur ce sujet il y avait trop à dire et qu’un simple documentaire aurait fait l’affaire tout en étant plus adapté.
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