Qui ne s'est jamais transformé pour vouloir plaire aux autres? C'est ce réflexe humain qu'explore Nous sommes les autres, qui rappelle que de bonnes idées et beaucoup d'originalité ne font pas nécessairement un film réussi.
La mystérieuse disparition d'un homme sème l'émoi autour de lui. Son amoureuse (Pascale Bussières) ne comprend pas ce qui lui est arrivé, un jeune architecte (Émile Proulx-Cloutier) est embauché pour mener à terme un projet important en son absence et un expert en sinistre (Jean-Michel Anctil) est mandaté pour faire la lumière sur cette affaire.
L'histoire débute ainsi comme le délicieux Continental, un film sans fusil de Stéphane Lafleur. Il ne s'agit pourtant pas d'une comédie ou d'une satire, quoiqu'on y rit abondamment, et ce, pas nécessairement pour les bonnes raisons. On a plutôt droit à un drame psychologique, à un suspense surnaturel, bref à une fable décalée. Un genre utilisé pour excuser les 1001 invraisemblances qui ponctuent la trame narrative, dont la plupart auraient pu être évitées.
Il suffit donc d'y croire, ce qui est extrêmement difficile avec cette première heure fastidieuse, qui explore superficiellement d'importants thèmes liés à l'identité, le vide, l'amour et le succès. La matière fascinante est là, c'est son intégration au récit qui fait défaut. Peut-être est-ce la faute du montage soporifique, de l'abus de musique ou de la mise en scène volontairement clinique, dont les décors sophistiqués enferment un peu trop mécaniquement les personnages dans leur environnement. On se serait d'ailleurs passé d'une certaine animation onirique qui est plus risible qu'autre chose.
Cela se replace un peu par la suite avec la montée kafkaïenne du thriller et «l'évolution» des êtres en place. Évidemment, quiconque est le moindrement cinéphile a déjà vu ça par le passé. Pensons seulement à La moustache, Plein soleil, le cinéma de Polanski, d'Hitchcock ou même de Yorgos Lanthimos (bien qu'il n'y ait rien d'aussi angoissant que son excellent The Killing of a Sacred Deer). Une certaine efficacité et vigueur ressort cependant de ce second tronçon beaucoup plus divertissant. C'est là où le spectateur se pose le plus de questions et qu'il peut enfin se laisser porter par ce qu'il voit.
Le plaisir est malheureusement éphémère. La conclusion avec ses trois fins gâche un peu la sauce, tout comme la horde de métaphores élémentaires et les discours explicatifs et moralisateurs qui résument pratiquement les enjeux du film. Tout le monde a compris dès le début qu'on aura affaire à un perpétuel jeu de miroirs entre les personnages et l'homme disparu. Alors, pourquoi encore et toujours montrer des miroirs à l'écran? L'effet de répétition est saisi depuis belle lurette. À moins que ça soit un défi et qu'il faille les compter...
Nonobstant les détours sinueux de l'intrigue, les acteurs font bonne figure. Cela fait du bien d'enfin voir Pascale Bussières dans un premier rôle substantiel. Émile Proulx-Cloutier se dépasse en caméléon vivant et Jean-Michel Anctil fait mentir l'adage que les humoristes ne savent pas jouer au cinéma (la faute à Martin Matte dans Nitro) en offrant une prestation aussi sensible qu'attachante.
En tâtant la condition humaine avec une certaine sensibilité et sans faire trop de compromis, le cinéaste Jean-François Asselin (qui est très actif à la télévision) a pris le risque de déplaire, ce qui est tout à son honneur. Il y a de belles choses dans Nous sommes les autres, mais également beaucoup de défauts qui sont souvent liés à l'inexpérience du premier long métrage. Le réalisateur possède toutefois trop de talent pour qu'on ne veuille pas le suivre dans ses prochains efforts.