René Richard Cyr n'a pas choisi le plus petit des projets pour effectuer son baptême du septième art. Mais considérant le succès phénoménal qu'a connu l'adaptation musicale de la pièce Les Belles-soeurs de Michel Tremblay, il n'y avait probablement pas non plus de meilleur candidat pour mener la présente production à bon port.
Évidemment, le passage de la scène à l'écran n'est jamais une mince affaire, surtout pour un projet mélangeant autant de teintes, de tons et d'émotions.
L'alliance du cinéma québécois et des séquences chantées - car le metteur en scène se défend bien de proposer une comédie musicale en bonne et due forme - n'est pas un mariage auquel nous assistons fréquemment - pour ne pas dire jamais.
Mais autant la proposition demeure insolite à bien des égards, autant la réussite s'avère plus que notable.
L'histoire de Germaine Lauzon (interprétée ici de manière aussi touchante que candide par Geneviève Schmidt), on la connaît désormais par coeur. Dans un quartier tout sauf huppé de l'île de Montréal, à la fin des années 1960, la ménagère remporte un million de timbres grâce auxquels elle pourra enfin commander par catalogue tous les électroménagers, meubles et vêtements dont elle a toujours rêvé.
Lorsqu'elle invite sa fille, sa soeur et ses amies à une petite soirée pour l'aider à coller lesdits timbres dans les nombreux livrets de commandes, la jalousie s'installe de plus en plus chez ces femmes appartenant à une époque n'ayant pas encore été révolue, obéissant sans broncher à leur mari, à l'Église et aux diktats de la société.
À travers cet hommage à une génération de femmes ayant tenu à bout de bras leur condition de même que celle de leur famille, René Richard Cyr célèbre également le talent artistique québécois au féminin par l'entremise d'une distribution réunissant plusieurs générations de certaines de nos plus grandes artistes, allant de Geneviève Schmidt à Guylaine Tremblay, en passant par Pierrette Robitaille, Debbie Lynch-White, Valérie Blais, Anne-Élisabeth Bossé, Diane Lavallée et Véronic DiCaire.
Effectuant également ses premiers pas au grand écran l'autrice-compositrice-interprète Ariane Moffatt se tire également bien d'affaire, tout comme la jeune Jeanne Bellefeuille, qui avait la tâche non négligeable de donner un souffle aussi déterminé et frondeur qu'incertain et fragile à celle qui allait devenir « la femme de demain ».
Entre la réalité on ne peut plus concrète décrite et imagée par Michel Tremblay, une réalisation compétente se collant autant aux excès qu'aux limitations de l'univers visité, et les bulles musicales très expressives intégrées par René Richard Cyr et Daniel Bélanger, Nos Belles-soeurs s'immisce dans la situation précaire de ses héroïnes avec amour et empathie, se tenant à des kilomètres des jugements faciles.
De plus, René Richard Cyr ne se défile jamais pour tenter de modérer les sensibilités d'aujourd'hui, confrontant plutôt celles-ci à ce qui était considéré comme étant tout à fait normal et acceptable il n'y a pourtant pas si longtemps.
Une fois bondée, la cuisine de Germaine Lauzon paraît plus étroite que jamais, et le reste du quartier prend vie à travers des décors on ne peut plus évocateurs, de superbes images de cordes à linge et de ruelles au crépuscule, une parlure que nos cousins français s'empresseront de sous-titrer, mais également les regards de ces femmes, aussi moroses et fatigués que remplis d'espoir, aussi envieux et accusateurs que bienveillants.
Rare ombre au tableau, le numéro d'ouverture aurait gagné à être un peu plus travaillé, et surtout mieux rythmé.
Ceci étant dit, René Richard Cyr démontre une fois de plus qu'il connaît l'univers de Michel Tremblay sur le bout des doigts, prenant certaines libertés totalement justifiables, tout en respectant la teneur du texte d'origine.
C'est le cas, notamment, de l'ajout de rôles masculins à l'ensemble (des maris peu commodes, pour la plupart), dont le metteur en scène se sert pour renforcer tout le discours entourant la condition de sa Germaine - qui est visiblement celle qui a su piger le meilleur numéro dans son cercle d'amies - et aller au-delà du « née pour un p'tit pain ».
De par son montage alerte et ses dialogues n'ayant rien perdu de leur efficacité comique et dramatique, ses chansons aux paroles aussi bien tournées que révélatrices, son histoire universelle et rassembleuse, et son portrait d'époque esquissé en deux temps, Nos Belles-soeurs a tout en main pour devenir l'un des grands succès populaires de notre cinéma.
Avec tout le talent impliqué, le contraire aurait été franchement étonnant pour ce qui demeure une oeuvre phare de la culture québécoise ayant su résister à l'épreuve du temps.