*** Le film sera offert dès ce vendredi dans quelques salles au Québec, ainsi que sur Disney+.
Kelly Reichardt, Eliza Hittman, Miranda July : le meilleur du cinéma américain contemporain se conjugue au féminin. Il faudra maintenant rajouter à cette Sainte Trinité le nom de la réalisatrice Chloé Zhao. En attendant de découvrir son travail pour Marvel sur The Eternals, place à son immense Nomadland.
Lion d'Or à Venise et prix du public au dernier Festival international du film de Toronto (TIFF), cette oeuvre d'exception qui part favorite aux Oscars suit le quotidien de Fern (Frances McDormand), une soixantenaire qui a tout perdu lors de la crise économique de 2008 et qui habite dans sa camionnette.
Fuyant toute narrativité classique, l'opus en est un de rencontres avec des gens qui ont souffert, mais qui demeurent nobles et résilients devant l'adversité. Le rythme plus lent que la moyenne permet de se lover auprès de ces individus marginaux afin de mieux saisir leur destin et leur essence.
Par Fern, le cinéphile a accès aux États-Unis d'aujourd'hui : ces laissés-pour-compte vivant loin des centres urbains, qui n'ont aucun autre choix que de compter sur la solidarité pour ne pas boire la tasse, tant le système hyper performant et compétitif n'est pas nécessairement fait pour eux. Sans idéaliser ou condamner ce mode de vie, le scénario qui est basé sur le roman de non-fiction de Jessica Bruder est fait d'humanité, de tendresse et d'empathie, filmant ce qui est rarement représenté à l'écran.
Tout passe par le visage fragilisé de Frances McDormand, dont chacune des rides évoque mille histoires. L'actrice, méconnaissable, est la colonne vertébrale du récit, amenant une lumière et une sincère dévotion à une chronique qui aurait pu être bien sombre. Elle est principalement entourée de comédiens non professionnels, renforçant l'authenticité de la démarche.
À l'instar de son précédent et déjà très intéressant The Rider, Zhao pose un regard à la fois tendre et doux-amer sur le rêve américain, remontant ses racines jusqu'à exposer le sentiment de communauté qui unit les individus les uns aux autres, dont plusieurs se sentent obligés de fuir la société afin de fonder une nouvelle terre d'accueil. Elle le fait avec un respect de la nature et du genre humain, sans jamais forcer la dose ou verser dans une naïveté débonnaire.
Reprenant la forme du western jusqu'à une finale qui évoque celle de The Searchers de John Ford, le long métrage impressionniste à ses heures ne manque pas de paysages à couper le souffle, montagneux ou enneigés, représentant l'état psychologique de la protagoniste et rappelant que la beauté est partout. La fine partition musicale de Ludovico Einaudi apporte grâce et poésie tout en rendant les yeux tristes. Encore là, les risques d'excès étaient grands et la cinéaste les évite constamment.
Rarement une fresque intime aura aussi bien encapsulé l'âme d'un pays. Dans la lignée du chef-d'oeuvre Paris, Texas de Wim Wenders, Nomadland est ce grand film qui mérite tous les éloges. Sans être parfait (il y a tout de même quelques moments plus redondants et didactiques aux dialogues insistants), on imagine difficilement une autre production triompher aux Oscars, tant sa liberté intrinsèque le positionne dans une classe à part.