« Est-ce un homme ou une bête? » C'est à cette éternelle question de la condition humaine que tente à nouveau de répondre Guillermo del Toro avec son plus récent long métrage Nightmare Alley.
Après le triomphe de The Shape of Water (gagnant de quatre Oscars, dont meilleur film et meilleur réalisateur), Guillermo del Toro pouvait tout se permettre. Mettre sur pied un projet extrêmement ambitieux ou enfin accomplir un vieux fantasme qui avait de la difficulté à trouver du financement. Contre toute attente, il a décidé de transposer le roman de 1946 de William Lindsay Gresham, déjà adapté brillamment au cinéma l'année suivante.
La bonne nouvelle pour lui, c'est que ce film noir d'Edmund Goulding qui mettait en vedette un hallucinant Tyrone Power n'est pas devenu un classique au fil du temps. On ne parle pas de The Maltese Falcon ou The Big Sleep. Il s'agit plutôt d'un thriller obsédant à ses heures, dont le pouvoir de fascination enveloppe le cinéphile dès la tombée du générique final qui glace littéralement le sang.
Au coeur des enjeux se trouve Stan (Bradley Cooper), un forain beau parleur qui manipule ses semblables sans aucun scrupule. Quelle est la part d'humanité et d'animalité en lui? La matière première évoque Dostoïevski ou Zola, avec ce monstre intérieur dissimulé en nous, prêt à surgir à chaque instant.
Dommage que le scénario de Guillermo del Toro et de sa complice Kim Morgan (qui a longtemps travaillé avec Guy Maddin) ne l'explore pas en profondeur. Il y a bien quelques flashs qui tentent de lier le protagoniste à ses origines et des allusions plus ou moins subtiles à cette grande noirceur ambiante. Sauf que ces métaphores sur la répétition de l'existence s'avèrent souvent prétentieuses, n'ayant qu'un rôle décoratif dans l'histoire. À l'image de toutes ces sous-intrigues laissées en plan, simplement pour augmenter artificiellement la durée du récit à deux heures trente minutes. Si pour une fois son auteur ne tâte pas le surnaturel, sa démonstration n'en demeure pas moins simpliste, son suspense inopérant et peu terrifiant. Tout le contraire de ses classiques L'échine du diable et Le labyrinthe de Pan.
Pourtant Bradley Cooper livre une performance sentie, trouvant un de ses rôles les plus ambigus en carrière. Encore là, il ne peut rien faire face aux actions souvent discutables de son personnage. Le reste de la distribution, impressionnante à bien des égards, compte dans ses rangs les Cate Blanchett, Willem Dafoe, Rooney Mara, Richard Jenkins, Toni Collette et autres Ron Perlman. Du grand talent mal utilisé au sein d'êtres clichés et peu nuancés, n'ayant souvent qu'une simple fonction (la naïve, la manipulatrice, etc.).
Comme il l'avait fait sur son peu convaincant Crimson Peak, le cinéaste cherche à compenser sa vision léthargique par une surenchère d'effets stylistiques. Sa photographie en couleurs joue de teintes étonnantes, évoquant parfois celles en noir et blanc de la version originale. Son montage n'hésite pas à insérer le passé dans le présent, alors qu'une poursuite dans une fête foraine laisse deviner le caractère cauchemardesque qu'aurait pu prendre un tel projet. Pourtant l'homme derrière Hellboy et Pacific Rim semble constamment se retenir, comme s'il voulait être pris au sérieux par un auditoire plus « adulte ». Il n'embrasse jamais totalement le film noir (qui se limite ici trop souvent aux teintes sombres de son image et à la neige qui tombe) et son style unique, reconnaissable entre tous, fait souvent défaut.
Familier et peu audacieux, Nightmare Alley présente un Guillermo del Toro sur le pilote automatique, qui revient à ses mauvaises habitudes après le sacre inespéré de son surestimé The Shape of Water. Malgré un casting cinq étoiles et une prémisse en or, il accouche d'une production anonyme, pas inintéressante, mais seulement lassante dans sa trop longue durée. Alors, « est-ce un homme ou une bête » ? La question méritait d'être posée et pour y répondre, mieux vaut revoir les précédentes et supérieures offrandes de son créateur.