En seulement deux films, Rafaël Ouellet est parvenu à construire sa signature, à se démarquer grâce à un style reconnaissable entre tous. Il n'y a, dans le cinéma québécois, pas deux réalisateurs comme lui. Derrière moi était d'ailleurs - et demeure à ce jour - l'exemple parfait de cette « pudeur curieuse » qui enrobe son cinéma d'un mystère intelligent, malgré la simplicité du récit. On se passionne vite devant un film de Rafaël Ouellet parce qu'il a l'intelligence de laisser parler le cinéma, la retenue nécessaire pour laisser parler les actions et qu'il saisit comme personne les spécificités du langage de ses personnages. Avec New Denmark, son troisième film, la réussite ne se dément pas.
La soeur de la jeune Carla est disparue depuis bientôt un mois. Cette adolescente de 16 ans, d'un naturel souriant, cherche désespérément sa soeur aînée en placardant des affiches partout dans sa petite communauté. Grâce à un routier qu'elle côtoie, elle se rend à Rimouski afin de pousser plus loin ses recherches, qui demeurent vaines. Pourra-t-elle réapprendre à profiter de la vie, à s'amuser avec ses amies?
Le film comprend - il sait, en fait - que le spectateur va comprendre ce que Carla fait, de la même manière que le film sait que le spectateur saura qu'elle travaille comme femme de chambre dans un motel. Pas besoin de l'expliquer (surtout pas avec des dialogues ou des mots) car la logique des images l'exprime assez clairement. Cela semble tenir de l'évidence, et pourtant, bien peu de cinéastes démontrent assez d'assurance pour laisser parler le film. Cela rend l'expérience de visionnement bien plus stimulante, et bien plus émouvante. Il n'y a pas d'intervention « divine » (lire : du scénariste, le véritable dieu d'un film) afin de rendre plausibles les actions et les choix. Ils sont cohérents par essence.
Cette cohérence existe seulement parce que les comédiens sont des inconnus (des inconnus efficaces, mais des inconnus quand même) et que le film respecte leur langage, leur humilité. Et c'est comme par magie que naissent alors de forts noeuds dramatiques, dont découlent de puissantes scènes d'émotion pure. La pureté, voilà qui est certainement au centre de la démarche du réalisateur (qui aime la campagne, les adolescentes et l'épuration du style). Cela donne un film qui mise sur la signification des gestes et des choix pour émouvoir. C'est bien plus prenant qu'une vulgaire théorie de l'émotion.
New Denmark est une oeuvre moins accomplie que Derrière moi, parce qu'elle est moins ambitieuse, plus observatrice et moins pro-active. Il ne s'agit pas non plus d'un point tournant dans la carrière d'un cinéaste qui semble raffiner son art au fil des expériences. Simplement d'un bon film, respectueux et cohérent, qu'il fait plaisir de vivre, d'expérimenter. Le réflexe serait peut-être de penser que New Denmark est un film aride, élitiste ou « de répertoire »; il n'en est rien. C'est une belle histoire des émotions racontées en images. Du cinéma, tout simplement.