Marquée par des oeuvres aussi fortes qu'émouvantes, la filmographie d'Alexander Payne en est une d'humanité, de famille, de voyage et de Frontière, un (sinon le principal) mythe fondateur de l'Amérique. Il est sans doute le réalisateur hollywoodien le plus apte à saisir, sans méchanceté, les travers de l'Amérique profonde et de ses habitants (il est natif du Nebraska). Lorsqu'un New-Yorkais ou un Californien (ou un Canadien) parle du Mid-West, il tourne en dérision, et cela donne une comédie grossière et malhonnête, tirant vers la parodie. Subtilement, Payne parvient à dresser le portrait de cette société républicaine, brainwashée, chrétienne convaincue, et même à être drôle sans être ridicule. Un tour de force. Même lorsqu'il va à Paris (Paris, je t'aime), le regard qu'il pose sur ces Américains est tendre et intelligent.
La filmographie d'Alexander Payne est rien de moins que remarquable. Nebraska est un nouvel exemple de cette exploration sociale et humaine, toujours humble - la simplicité de Nebraska étant pratiquement un défaut - et capable de faire rire autant que d'émouvoir. Ses films ne mènent jamais à une révélation finale choquante, à un retournement ou à un bouleversement grandiose, ses films se terminent souvent par un constat, simple mais efficace; un retour à la situation initiale où les gens changent, mais pas l'état des choses... Un peu comme dans la vie. Rien d'original dans Nebraska, donc.
Bruce Dern, dont le travail a été récompensé du prix d'interprétation masculine à Cannes, incarne avec un savant mélange de confusion et de naïveté un vieil homme dont les ambitions ont été sans cesse cassées par les obligations de sa condition (mari, père, vieux). Il est efficace, c'est vrai, mais ne serait jamais aussi convaincant sans le travail senti de June Squibb, Bob Odenkirk et de Will Forte. Ce dernier, l'un des comiques les moins convaincants de SNL, est même surprenamment efficace dans le rôle d'un fils compréhensif qui aborde avec tendresse les lubies de son père. Leur relation, évidemment centrale au film, mène à une finale magnifique, émouvante, sorte d'happy end des gens simples qui est « simplement » bouleversante. Un constat : la vie continue.
Le noir et blanc contribue à réduire les jugements faciles : les tons de gris permettent d'éviter les petits commentaires sur la couleur des voitures ou des vêtements, sur la pauvreté, la saleté, la simplicité. On se concentre donc naturellement sur les humains humanités, les révélations et sur le portrait global des gens pas méchants, au fond. Les dialogues, finement écrits, fonctionnent sur tous les fronts, dans les moments plus dramatiques autant que dans les scènes humoristiques.
Au-delà de quelques longueurs et bien sûr de sa simplicité généralisée, Nebraska est un film efficace, bien interprété, réalisé avec intelligence et empathie. Dans cette ironie centrale, déjà : Woody ne saurait même pas quoi faire avec ce million $ qu'il n'a pas gagné. N'est-ce pas là le Rêve américain?