L'une des scènes les plus marquantes du Girl with the Dragon Tattoo de David Fincher est celle où le personnage de Martin Vanger (Stellan Skarsgård) affirme à Mikael Blomkvist (Daniel Craig) que la peur d'offenser est souvent beaucoup plus forte que la peur de la douleur, utilisant comme exemple le fait que son interlocuteur se soit rejeté lui-même dans la gueule du loup en toute connaissance de cause.
Toute la prémisse de Speak No Evil - aussi bien le film original de Christian Tafdrup que la présente relecture de James Watkins - repose sur cette idée. Des invités doivent continuellement tourner leur langue sept fois dans leur bouche avant de parler, accepter de faire quelque chose qui ne leur plait pas par crainte de vexer leurs hôtes, et même mettre leur vie et celle de leurs proches en péril au nom du savoir-vivre et des bonnes manières.
Hollywood a été particulièrement rapide sur la gâchette dans le cas présent, alors que l'opus original est sorti en Europe il y a à peine deux ans.
Et si vous pensiez que les producteurs américains n'auraient pas le cran d'aller au bout de la vision sinistre et traumatisante à souhait du film danois, eh bien... vous aviez raison.
Ceci étant dit, Watkins parvient ici à réaliser quelque chose d'assez exceptionnel en reprenant exactement la même trame narrative que le film original durant les deux premiers tiers, mais en lui conférant un ton totalement différent et, surtout, en exprimant ses intentions d'une manière beaucoup plus limpide et articulée.
Durant leurs vacances en Toscane, Ben et Louise Dalton (Scoot McNairy et Mackenzie Davis) font la connaissance de Paddy et Ciara (James McAvoy et Aisling Franciosi), un couple particulièrement extraverti avec qui ils se lient néanmoins d'amitié. Une fois de retour dans leur quotidien, les Dalton sont invités par leurs nouveaux amis à venir passer du bon temps dans leur immense demeure rustique située au coeur de la campagne anglaise.
Lorsque les réactions étranges et les malaises se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu entre les deux couples et leurs progénitures, Louise convainc Ben de partir en douce pour rentrer à la maison. Évidemment, quitter la propriété sera beaucoup plus facile à dire qu'à faire...
Dès le départ, le réalisateur a su trouver en James McAvoy le parfait complice pour élever et légitimer sa vision. Le jeu tendu, désinvolte, bourru et plus grand que nature de l'acteur mérite certainement tous les éloges, soutenant à lui seul l'exécution de ce virage à 180 degrés.
Le fait que Ben et Louise acceptent de marcher sur des oeufs jusqu'à suivre contre leur gré les demandes et les exigences de leurs hôtes passent aussi beaucoup mieux à l'écran, justement car le scénario se tient en parfait équilibre sur la fine ligne séparant la tension du ridicule, l'invraisemblance et cette peur paralysante dont il est continuellement question.
La dernière chose à laquelle nous aurions d'ailleurs pu nous attendre, considérant la teneur extrêmement dure et impitoyable du long métrage de 2022, c'est à quel point le nouveau maître de cérémonie serait parvenu à injecter autant d'humour à la proposition, et que cette initiative se révélerait aussi efficace que pertinente en ce qui a trait aux mécaniques du récit.
Tous ces changements ouvrent d'autant plus la porte pour un dernier acte allant totalement à l'opposé de celui orchestré par Christian et Mads Tafdrup, Watkins terminant son suspense sur une note, certes, beaucoup plus hollywoodienne, mais surtout conséquente avec tout ce qu'il a su mettre sur pied auparavant.
Watkins accorde d'ailleurs une attention beaucoup mieux répartie à l'ensemble des personnages, conférant beaucoup plus de personnalité et de relief à chacun, de même qu'un rôle beaucoup plus soutenu et actif au niveau de la progression de l'intrigue, là où les frères Tafdrup se contentaient de faire graviter les femmes et les enfants autour des deux figures paternelles.
Le cinéaste britannique se penche d'une manière tout aussi incisive sur les notions de masculinité défendues par les deux principaux intéressés, incorporant habilement les caractéristiques classiques de la « final girl » de tout bon slasher au personnage de Scoot McNairy - mais avec une série de revirements un tantinet plus castrants et confrontants.
Du coup, le glaçant « because you let me » finit par prendre lui aussi une tout autre signification.
James Watkins aura trouvé plus d'une façon judicieuse d'ajouter davantage de chair autour de l'os, de tirer le maximum du moindre détail qu'il a osé modifier pour approfondir la réflexion et le discours de sa source d'inspiration, et ce, sans jamais en dénaturer son essence profonde.
Débordant de dialogues savoureux, de performances inoubliables, de moments de malaise aussi jouissifs qu'inconfortables et de savantes touches d'humour noir, Speak No Evil parvient contre toute attente à faire fi du jeu des comparaisons, et à imposer un rythme et des termes qui lui sont propres.