Ridley Scott fait un film sur Napoleon avec Joaquin Phoenix dans le rôle-titre. Cette idée de rêve ne porte malheureusement pas fruit, et le biopic, aussi spectaculaire soit-il, s'avère une demi-déception.
On ne peut que louanger l'audace du cinéaste britannique de 85 ans de s'attaquer à des sujets ambitieux dotés de budgets faramineux. Il a offert dernièrement The Last Duel et House of Gucci, tandis que Gladiator 2 doit prendre l'affiche l'année prochaine. Sa nouvelle création en met plein la vue et les oreilles avec son esthétisme soigné et ses mélodies épiques. Les nombreuses scènes de combats laissent béates, surtout lorsqu'elle sont admirées dans une salle IMAX. L'intensité demeure dans le tapis et le spectateur devra souvent s'accrocher à son siège pour ne pas être soufflé. Le résultat atteint son paroxysme lors d'une bataille enneigée qui marque les esprits.
Autant les scènes d'action touchent le nirvana, autant le reste laisse de glace. Le scénario de David Scarpa (à qui l'on doit le peu convaincant All the Money in the World du même Scott) transforme ce destin hors du commun en page Wikipédia, faisant simplement dérouler les faits historiques, de la Révolution française à la mort de l'empereur. Les dialogues ne sont pas les plus élaborés et le script plein de trous se fourvoie régulièrement tant les ellipses s'avèrent brutales.
Le grand responsable de cette débâcle est le format du film. Le montage de 159 minutes diffusé dans les salles de cinéma est la version courte de Napoleon. L'efficacité et l'action mènent le bal (encore là, il n'y en a pas tant que ça), au grand dam de la complexité et de la bonne compréhension du récit. Afin d'avoir accès au véritable long métrage, il faudra attendre que la version longue de 4 heures 30 minutes soit déposée sur Apple TV+. Mais ce film impressionnant aura-t-il le même effet dans votre salon? Bien sûr que non! L'histoire se répète ainsi pour Ridley Scott après la débâcle de Kingdom of Heaven, une oeuve décevante que les cinéphiles ont pu redécouvrir avec le montage du réalisateur.
Ce choix commercial et non artistique pèse sur les scènes domestiques (le coeur de l'ouvrage), expédiées de façon confuse et qui laissent totalement indifférentes. Pourquoi Joséphine revient sans cesse vers Napoléon au lieu d'oser - comme le chantait Bashung - et de s'affranchir? Une relation de dominant et de dominé s'exprime entre eux et elle est malheureusement laissée en jachère. Vanessa Kirby (la Veuve blanche des derniers épisodes de Mission: Impossible) méritait mieux, et la comédienne fait ce qu'elle peut dans ce rôle ingrat.
Tous les regards sont plutôt tournés vers Joaquin Phoenix. L'acteur, au sommet de son art après ses performances inoubliables dans Joker, C'mon C'mon et Beau Is Afraid, s'avère en roue libre, pour le meilleur comme pour le pire. Il s'investit beaucoup dans ce personnage despotique et mélancolique. Sauf que son intensité ne sert pas toujours le rôle et son jeu paraît en décalage avec le reste de la distribution.
Ironiquement, Ridley Scott a mieux décrit le climat absurde et violent des guerres napoléoniennes avec son premier long métrage, The Duellists. À force de trop embrasser et de vouloir décrire une trop longue période historique, Napoleon relève de l'anecdote. Tout le contraire de la colossale version d'Abel Gance, qui demeure encore la référence en la matière. Peut-être que la version longue changera la donne. En attendant, il faudra se contenter des séquences d'action, parmi les plus enlevantes de l'année.