Il y a un certain risque à consacrer sa vie au « cinéma ». À cause de la futilité de la grande majorité de ses sujets, du peu d'innovation dont il fait le plus souvent preuve et de son affreux populisme, véritable fléau de la quête artistique (c'est la kryptonite de l'Art, vraiment). À cause aussi de sa prétention généralisée, qui se manifeste étrangement le plus souvent par de la bonne foi (une sorte de belle insouciance de faire véritablement partie de la confrérie du cinéma, qui serait obligatoirement opposée au public (populaire n'est pas populiste) et qui nierait le processus final du cinéma : la diffusion). Tant de soucis pour une si petite chose : ce n'est que du cinéma, il n'y a pas mort d'homme.
Devant la complexité d'une proposition comme celle de Mr. Nobody, il faut déconstruire le tout et en examiner les parties : Mr. Nobody est un film. Sur le temps, l'espace, la vie, les opportunités, les choix. Mr. Nobody ne s'intéresse pas à la vérité, car il a bien compris que la différence est minime entre ce qu'on se souvient d'avoir vécu et ce qu'on a véritablement vécu. Le cinéma permet souvent cette substitution des « souvenirs »; il permet de rêver, de laisser des personnages à qui il ne peut rien arriver vivre les choses à notre place et de se dire « si c'était moi, j'aurais... » après.
C'est l'histoire de Nemo Nobody. Il a peut-être choisi de rester sur cette gare d'Angleterre avec son père, ou il a peut-être choisi de partir avec sa mère pour l'Amérique. Cela aura influencé toute sa vie : la femme qu'il aura épousée, les enfants qu'il aura eus, son emploi. Le montage de Mr. Nobody s'octroie une quatrième dimension, celle des mondes possibles et propose en parallèle ces possibilités (qu'il a fallu réduire à trois cas d'espèce pour l'illustration). Mais l'inéquivalence des segments (les trois femmes ont une importance très variable dans le récit, ce qui va à l'encontre même de la proposition du film) démontre une première faiblesse. Car cette inéquivalence ouvre la porte aux comparaisons entre les récits : la jeune Juno Temple, délicieuse et énergique, vole la vedette à l'accablante Sarah Polley, stéréotypée au possible. Tant et si bien que certains récits paraissent moins « vrais », d'une certaine manière moins « plausibles » parce que moins « idéaux », et, cela aussi va à l'encontre de la proposition du film.
Mr. Nobody est un film comme devraient être tous les films : des explorations artistiques des émotions humaines. Un film qui ressemble parfois à une chanson de Pierre Lapointe par sa manière d'associer les images fortes entre elles pour qu'elles forment des émotions sans que cela ne soit obligatoirement rationnel, et qui se donne parfois des airs de The Fountain, d'Aronofsky ou de L'insoutenable légèreté de l'être, au niveau de la thématique. Et s'il n'était pas mort, Alain Robbe-Grillet sentirait certainement des affinités avec ce projet qui a une vision propre au médium cinématographique de l'état d'exister. Voilà un grand risque, qui donne lieu à autant de scènes magnifiques que des lourdes répétitions frisant la prétention; l'effet papillon, vraiment? Des défauts, Mr. Nobody en a. Mais quand on a la chance de voir le cinéma...
Il existe un seul endroit où l'on peut recommencer sa vie, choisir à nouveau, expérimenter les effets de toutes les possibilités d'un choix. Où l'on peut être vieux et jeune. Un seul endroit où l'on peut expérimenter les effets du temps (ralentis, accélérés, répétitions), un seul endroit où l'on peut vivre en ayant conscience de vivre ce que l'on vit. Où la vie s'éteint en même temps que la lampe du projecteur. La réponse, à tout et pour tout, de tout temps, c'est le cinéma. Voilà qui est rassurant, en quelque sorte. Et puis, beau clin d'oeil, le film se termine sur une mort d'homme, le dernier humain mortel, et c'est la fin du monde. Mr. Nobody est un film. Ah! si j'étais un film.