Reporté à cause de la pandémie et secoué par l'affaire Armie Hammer, Death on the Nile était en eaux troubles bien avant sa sortie au cinéma. Un sentiment qui se confirme encore aujourd'hui.
Cette suite au quelconque Murder on the Orient Express continue de s'éloigner davantage de l'esprit des écrits d'Agatha Christie. Le crime, presque secondaire, est relégué à la deuxième partie, à la 70e minute. Avant, il faut se farcir une introduction soignée, mais totalement inutile, sur fond de guerre - on pense à 1917 et Paths of Glory - qui explique pourquoi Hercule Poirot porte la moustache! Il y a ensuite une première exposition aux nombreux personnages dans un club londonien, puis une seconde en Égypte. On n'arrive d'ailleurs pas sur le navire avant la 40e minute!
Tout cela est censé apporter une humanité insoupçonnée au détective et à ses « suspects », une mélancolie sur le sentiment amoureux. La démarche s'avère vaine et même ennuyante parce que le scénario de Michael Green sent la formule et demeure en surface. Les stéréotypes mènent le bal, les dialogues sont plombés par une naïveté embarrassante et les thèmes abordés se détournent rapidement de l'essentiel (lutte des classes, racisme latent) pour se consacrer évidemment sur l'amour et l'argent.
On pensera ce qu'on voudra du précédent film, si éloigné du divertissement extrêmement satisfaisant de Sidney Lumet. Mais sa distribution, qui réunissait Michelle Pfeiffer, Penélope Cruz, Olivia Colman, Judi Dench, Johnny Depp et Willem Dafoe valait le détour, amenant un côté glamour qui était loin d'être négligeable. Même la satisfaisante version de 1978 de Death on Nile pouvait compter sur la présence de Peter Ustinov, Jane Birkin, Bette Davis, Mia Farrow et Maggie Smith. Hormis Annette Bening, les vedettes sont rares dans la nouvelle mouture, remplacées par des comédiens beaucoup moins talentueux. Gal Gadot possède le physique de l'emploi quand vient le temps de jouer Wonder Woman, sauf qu'elle est peu crédible en femme qui est censée être normale. Armie Hammer incarne pratiquement un obsédé sexuel, aux côtés d'un Russell Brand qui se retient heureusement de trop en faire. Toujours exubérant et caricatural avec son risible accent francophone, Kenneth Branagh finit encore par boire la tasse, même s'il tente de la jouer plus sobre et introspectif. Déjà qu'il est difficile de s'attacher aux êtres en place, si en plus l'interprétation laisse à désirer... Surtout que trop souvent, le ton de la parodie n'est jamais bien loin.
Très inspiré lorsqu'il met la main à la pâte du scénario (comme en fait foi son honorable Belfast qui est nommé dans les catégories les plus prestigieuses aux Oscars), Branagh semble trop souvent éteint en agissant comme simple spectateur. Sa réalisation, inutilement tape-à-l'oeil, fait dans l'esbroufe, se voulant artificielle. Peut-être est-ce une façon de répondre aux illusions qui guident le récit.
Le long métrage se met véritablement en branle à mi-chemin, lorsqu'un meurtre est commis, et il s'avère plutôt agréable à regarder. Tous les mots inutiles du début sont enfin au service d'une intrigue rondement menée. Les révélations sont peut-être prévisibles, mais c'est à ce moment que la mise en scène s'active. La caméra épouse le mouvement pour modifier le point de vue du regard, il y a de nombreux jeux de miroirs, une utilisation riche des couleurs et un désir de repousser les limites du huis clos en explorant la profondeur de champ du navire. De quoi amener un semblant de suspense, qui demeure plus proche d'une inoffensive partie entre amis au Clue que de Knives Out ou d'un épisode de Scream.
Aussi « mémorable » que son prédécesseur, Death on the Nile n'arrive pas à élever la barre, à développer un style unique qui donnerait naissance à une franchise digne des romans d'Agatha Christie. Le matériel y est. Ce qui manque, c'est une vision propre, à la fois dans sa forme que dans son fond, où l'aventure servirait à autre chose qu'un simple prétexte pour faire disparaître plus de deux heures de notre existence. Qui sait, peut-être que le prochain tome se déroulera dans un avion, une caravane, un sous-marin, un métro, une grotte ou une tour infernale...