Prix du scénario au dernier Festival de Cannes, Monster est le retour fracassant au Japon du cinéaste Hirokazu Kore-eda, cinq années après sa fabuleuse Palme d'Or, Une affaire de famille.
Une mère (Sakura Andö) s'interroge sur son fils (Söya Kurokawa). Il serait le souffre-douleur de son enseignant (Eita Nagayama). Malgré toutes ses inquiétudes, la direction de l'école tarde à réagir. Et si les faits étaient plus compliqués?
Où se situe la vérité dans un monde dominé par la réalité subjective, les mensonges, les apparences et les rumeurs? Pour y accéder, le script multiplie les regards - à la façon du chef-d'oeuvre Rashomon d'Akira Kurosawa - en revisitant sous de nouveaux points de vue les différentes situations. Du regard des parents, on passe ensuite à celui du professeur, puis à celui des enfants. La perspective s'élargit, et l'intimidation du début prend un tout autre sens.
Les deux premiers tronçons s'apparentent à un suspense qui questionne les liens entre les enfants et les adultes souvent manquants, l'attachement, l'amitié, le désir et l'amour. Tout cela en rappelant comment de fausses nouvelles peuvent gangrener la société, et que le système d'éducation est loin d'être infaillible. Une démonstration virtuose sur le plan de la mise en scène, mais dont le dispositif se veut sans doute trop narratif et rigide, étouffant régulièrement les personnages.
La liberté émane du troisième volet, alors que le cinéaste délaisse quelque peu le script de Yûji Sakamoto (il s'agit du premier scénario que Kore-eda ne signe pas depuis son premier long métrage, Maborosi, en 1995) pour se concentrer sur ce qu'il fait le mieux : baigner son cinéma de poésie, de douceur et d'empathie. Il fait respirer son récit pour l'intégrer dans quelque chose de plus grand : la marche de la vie qui, même si elle débute sous le signe du feu et du chaos, se termine après la tempête, lovée auprès de la nature et de la lumière. Impossible de ne pas penser à l'impressionnant Close de Lukas Dhont, bien que cette finale puisse être sujette à interprétation selon son degré d'optimisme ou de pessimisme.
Depuis son remarquable Nobody Knows en 2004, personne ne dirige mieux les enfants au cinéma que Kore-eda, et il soutire encore une fois le meilleur de ses jeunes acteurs, qui sont criants de vérité. Il le fait pourtant sans jamais éclipser les adultes, qui ont tous leur moment d'émotion. Au sein de cette démonstration réglée au quart de tour, c'est le personnage secondaire de la directrice qui reste le plus longuement en tête tant sa présence mélancolique obsède.
Le long métrage bénéficie d'une réalisation experte qui n'est jamais apparente. Le style est au service du propos et sa présence se fait remarquer dans son grand soin apporté à la photographie et au montage. La musique du regretté Ryuichi Sakamoto (il s'agit probablement de sa dernière bande sonore) baigne l'effort d'un piano mélodique qui n'est jamais trop appuyé.
Après des détours en France (avec le peu convaincant La vérité) et en Corée du Sud (par l'entremise du touchant, mais mineur Les bonnes étoiles), Hirokazu Kore-eda revient en grande forme chez lui avec Monster, une oeuvre intelligente, nuancée et universelle sur la façon de concevoir le réel. Après moult détours, il arrive à accéder à l'âme de ses jeunes héros, ce qui s'avère précieux et poignant à la fois. À l'effigie de ce beau film dont l'empreinte marque profondément.