L'histoire de la patineuse Tonya Harding a fait le tour de la planète. En 1994, elle est accusée d'avoir agressé sa rivale Nancy Kerrigan. Qu'est-ce qui l'a menée là? On ne le saura probablement jamais. En se basant sur ses témoignages et ceux de ses proches, le film I, Tonya extrapole une fiction qui utilise les codes du (faux) documentaire, les individus s'adressant souvent à la caméra.
De quoi briser en apparence les fondements du biopic classique, qui sont respectés ici dans sa chronologie la plus élémentaire avec ses montées vertigineuses et ses descentes abyssales. L'héroïne (Margo Robbie) est montrée comme un talent brut qui a reçu les coups de sa mère (Allison Janney) et ensuite ceux de son propre mari (Sebastian Stan). Prise en grippe par l'association de patinage qui lui reproche ses écarts de conduite (au niveau du caractère, du langage, de l'habillement...), elle finira par frayer avec les mauvaises personnes qui la mettront dans le pétrin.
On sent une réelle sincérité émaner du personnage principal. Quelques scènes avec son époux touchent une vérité tangible : la difficulté de transcender son milieu et de s'émanciper en tant que femme lorsqu'on est dépendante aux gens. Ce n'est peut-être pas du Zola, mais ce n'est pas trop éloigné pour autant. Certains moments tardifs amènent d'ailleurs une émotion que l'on sentait insoupçonnée au projet.
Cet honorable traitement empathique n'est pas rare par les temps qui courent. Pensons seulement aux récents The Disaster Artist et Darkest Hour. Mais comme ces deux exemples, I, Tonya n'arrive pas à transcender le stade du premier degré. En grattant le vernis, on découvre des êtres qui manquent de finition, à la psychologie primaire.
On demeure en surface parce que le scénario de Steven Rogers (Love the Coopers) opte pour une satire facile du rêve américain. Celle qui fait sourire, mais qui laisse graduellement de glace parce qu'incapable de se renouveler. Tout le contraire de American Hustle, The Big Short ou The Wolf of Wall Steet qui étaient évidemment plus ambitieux. Son cinéaste Craig Gillespie (The Finest Hours) tente de faire oublier cette faiblesse à l'aide d'une mise en scène dynamique, aux choix musicaux irréprochables.
Le plus choquant est certainement le regard condescendant du long métrage, qui rit constamment du milieu pauvre d'Harding, de son héritage familial, de ses relations douteuses et de son incapacité à s'extirper de son cercle de violence. Sans doute qu'il s'agit d'une comédie et pas d'une ode à la marginalité comme le brillant The Florida Project, sauf qu'il aurait sans doute été possible de mieux tempérer l'humour afin de faire ressortir plus finement le tragique et l'absurdité des situations.
Ce qui sauve l'effort est la composition électrisante des comédiens. Margot Robbie s'est beaucoup investie dans ce projet, agissant à titre de productrice pour rappeler qu'elle peut faire autre chose que Suicide Squad. Et si elle n'a pas toujours l'âge de son personnage (surtout à l'adolescence!), son jeu sensible séduit amplement. C'est le cas également de Sebastian Stan (le Soldat de l'Hiver chez Marvel) qui évite la caricature d'usage. Au contraire, l'hilarante Allison Janney (Life During Wartime) l'embrasse complètement. Si l'ouvrage met la main sur un prix à la prochaine cérémonie des Golden Globes (il est nommé comme meilleur film comique, meilleure actrice principale et actrice de soutien), c'est elle qui possède les plus grandes chances de l'emporter.
I, Tonya peut dire merci à ses valeureuses interprètes qui l'empêchent de sombrer dans l'anonymat. Sans doute qu'un meilleur clivage entre drame et comédie aurait été nécessaire. Ce n'est toutefois pas tout le monde qui a le talent des frères Coen. Malgré ses défauts, un charme non négligeable et une charge caustique se dégagent de l'ensemble, rappelant qu'il n'y a pas de mauvais sujet à traiter au cinéma.