Lorsque I, Daniel Blake a remporté la Palme d'Or à Cannes l'année dernière, plusieurs cinéphiles ont manifesté leur hargne. Pourquoi avoir donné le prix le plus prestigieux du septième art pour une deuxième année consécutive - après Dheepan de Jacques Audiard en 2015 - à une des productions de la compétition officielle qui comportait le moins de cinéma? Pour son sujet, visiblement.
Cela a toujours été la force des créations du cinéaste britannique Ken Loach. Les causes sociales sont tatouées dans son coeur et il offre un nouveau manifeste enragé de son indignation. Devant la grisaille de son pays qui ne jure que par le capitalisme et la privatisation, les dédales kafkaïens de son héros malade (Dave Johns) qui doit absolument retourner travailler et les injustices chroniques qui plongent une jeune mère célibataire (Hayley Squires) dans l'incertitude la plus troublante, l'union est nécessaire à la survie. L'humain est encore capable d'altruisme, de civisme et de dignité et c'est ce qui lui permettra - c'est à souhaiter - de triompher de l'absurdité du monde actuel, de la précarité et du cynisme.
La neutralité ne peut exister. Il y a les Bons et les Méchants. Ceux qui possèdent l'argent et les autres trop souvent oubliés. Ce ton didactique et ce manque flagrant de subtilité risquent d'en faire soupirer plus d'un. Tout comme le scénario mélodramatique, misérabiliste et démonstrateur qui peut être lourd à porter. Le mécanisme d'humiliation n'est, par exemple, pas exposé de façon aussi implacable que dans La loi du marché de Stéphane Brizé. Un certain humour vient heureusement alléger les situations. Surtout que l'interprétation d'ensemble s'avère impeccable. En mélangeant les acteurs et les amateurs, le réalisateur capte une représentation du réel qui n'est jamais très éloignée du documentaire.
Tout ça à l'aide d'un budget modeste qui est souvent manifeste à l'écran. Les fondus noirs s'enchaînent mécaniquement et la mise en scène sans fioriture demeure un peu statique. Cela fait des années que Loach se soucie davantage des thèmes que de sa technique (les rares exceptions de symbiose entre le fond et la forme sont Kes et Family Life : les deux titres les plus essentiels de sa filmographie) et ce n'est pas à 80 ans qu'il changera son fusil d'épaule. On le sent toutefois plus inspiré que sur ses cinq derniers longs métrages, revenant à une sensibilité salutaire qu'il affectionnait sur It's a Free World! et The Wind that Shakes the Barley (cette autre Palme d'Or qui a fait couler beaucoup d'encre).
C'est un véritable cri de résistance que propose Ken Loach avec I, Daniel Blake, cette grande fresque politique qui comptera autant d'admirateurs que de détracteurs. Malgré tous ses défauts et ses immenses ficelles, le récit à la Dickens va droit au coeur et il émeut terriblement. À la fois par tous les malheurs qui affligent les personnages que ce mince entrefilet d'espoir qui se dévoile avec parcimonie. Lorsque la tombée du générique fait son apparition, il sera impossible d'arrêter ces larmes qui couleront à flots. Cela ne vaut évidemment pas une Palme d'Or... mais ce n'est pas la faute du film s'il l'a remportée et il ne faudrait surtout pas lui en tenir rigueur.