La question des migrants a évidemment fait couler beaucoup d'encre au cours de la dernière décennie.
Mais au-delà des images de bateaux remplis d'hommes, de femmes et d'enfants en quête d'une vie meilleure cherchant à se frayer un chemin vers les côtes européennes, l'ensemble des épreuves par lesquelles ont dû passer les principaux intéressés pour tenter d'atteindre le vieux continent peut demeurer abstrait dans l'esprit des citoyens occidentaux.
Avec Moi capitaine, Matteo Garrone cherche à nous faire prendre conscience de tout ce qu'implique cette très longue traversée du désert (littéralement), qui ne vient avec aucune garantie pour celles et ceux qui choisissent de l'entreprendre.
Nous suivons donc le jeune Seydou (Seydou Sarr) et son cousin Moussa (Moustapha Fall) à partir du moment où ils décident de quitter leur famille et le Sénégal, avec en poche quelques dollars et le rêve de faire de la musique sur le continent européen.
Au cours de ce périple des plus risqués, le duo devra se faufiler à travers les frontières, marcher des jours durant dans le désert du Sahara, échapper aux autorités, et surtout aux griffes de trafiquants donnant la traite de personnes.
Tout ça avant même de pouvoir contempler l'idée de pouvoir peut-être mettre le pied sur le bateau qui leur permettra de traverser la mer Méditerranée.
Moi capitaine est évidemment un film dur, souvent impitoyable, mais dans lequel le cinéaste italien concentre avant tout sa caméra sur les individus. Ce dernier ne tombe ainsi jamais dans le piège du misérabilisme, nous faisant prendre conscience des risques et des implications de ce long voyage par l'entremise du regard innocent et inexpérimenté de Seydou, qui doit toujours avancer sans jamais vraiment savoir où ses prochains pas vont le mener.
Garrone prend également soin de suggérer la plupart des horreurs auxquelles ses personnages sont confrontés plutôt que de les montrer explicitement. Le tout en plus de se permettre quelques touches d'onirisme, que le réalisateur du percutant Gomorrah utilise toujours à bon escient, et surtout avec respect.
Au-delà du récit de survie et de ses séquences cauchemardesques, Moi capitaine est aussi un très beau film sur le courage, la solidarité humaine, la responsabilité envers autrui, et un très éprouvant passage vers l'âge adulte.
Dans la peau du personnage principal, Seydou Sarr offre d'abord une prestation effacée, empreinte d'hésitations et de fragilité, avant d'incarner avec assurance la prise de maturité à vitesse grand V à laquelle doit se soumettre l'adolescent pour ne pas tomber comme des milliers d'autres avant lui.
Le périple de Seydou culmine ultimement sur le long parcours en mer donnant tout son sens au titre du film. Hésitant d'abord à prendre la responsabilité d'autant de vies humaines, Seydou doit subitement incarner toute la force de caractère du monde du haut de ses 16 ans pour éviter la moindre tragédie.
Le dernier acte du film tire toute sa tension et sa puissance dramatique du constant état d'urgence et de l'incertitude auxquels sont sujets Seydou et les autres voyageurs.
Évidemment, ce voyage qui venait avec bien des ambitions, mais aucune promesse, ne pouvait se terminer que par un important point d'interrogation, après le long et magnifique dernier plan du film, que Seydou Sarr habite complètement.
Au final, Matteo Garrone atteint la cible en faisant preuve d'autant de clairvoyance que de sensibilité, et surtout en évitant les pièges de la surenchère dramatique, bien conscient que la réalité qu'il met en images est plus que suffisante pour marquer les esprits au fer rouge.