Qui ne se rappelle pas du camion diabolique de Duel? C'est un cousin éloigné de ce méchant véhicule - et son conducteur fautif - qui est l'antagoniste de Miséricorde, alors qu'il a fauché la vie d'un Amérindien de 13 ans. Un Européen (Jonathan Zaccaï) de passage au Québec semble être la seule personne capable de l'arrêter.
Comme dans le film haletant de Steven Spielberg, celui moins trépidant du cinéaste suisse Fulvio Bernasconi donne la part belle au territoire. Le long métrage qui emprunte à la fois au western et au road-movie est gorgé de paysages magnifiques. De grands espaces souvent menaçants qui semblent avaler tout rond ses personnages. Un sentiment d'inquiétude qui est exacerbé par une musique de circonstance et une mise en scène qui ne manque pas de panache.
Ces images de désolation semblent peser sur les épaules de notre protagoniste torturé par ses démons intérieurs, l'enfermant dans une solitude de plus en plus insoutenable. Notre héros au passé lourd est d'ailleurs très bien campé par Jonathan Zaccaï, un acteur belge qui a fait un peu n'importe quoi ces dernières années. Le voilà mordre dans un rôle difficile et délicat, le plus substantiel de sa carrière depuis le troublant Élève libre de Joachim Lafosse.
Sa performance incendiaire et la réalisation assumée ne sont cependant pas suffisantes. Le récit obscur qui va vers la lumière souffre d'un rythme inconsistant et d'un manque de tension dramatique. Les invraisemblances ne sont pas rares, tout comme les comportements illogiques des individus. Alors que l'histoire débute en cachant soigneusement ses cartes, ses motivations et ses desseins, tout sera révélé avant la tombée du générique, emportant du coup son mystère et sa nuance. Sa subtilité est d'ailleurs progressivement entravée, se noyant littéralement à la fin lors d'un poncif trop explicatif qui manque sérieusement d'émotions.
En plus d'un voyage dans l'esprit d'un homme à la croisée des chemins, l'effort s'avère une métaphore du continent nord-américain. Il y a la population autochtone ostracisée qui cherche à dessiner son avenir, son voisin dominant qui ne veut pas perdre ses acquis et l'étranger européen qui saura les raccommoder... Il est donc question d'un sentiment de culpabilité qui résulte dans le meilleur des mondes à une rédemption et au pardon. Des intentions louables, mais simplistes, tant ces éléments importants ne coulent pas de source. Ils semblent plaqués, à l'effigie de tous les personnages secondaires à la psychologie sommaire, que ce soit la flic enceinte (clin d'oeil à Fargo), notre Evelyne Brochu qui est plus coincée que jamais (coproduction oblige) et à la trop rare Marthe Keller qui ne sert malheureusement à rien.
Sorte de frère de sang du récent Iqaluit de Benoit Pilon, Miséricorde aborde l'infiniment grand (les problèmes universels de territoires et de ses habitants) par la quête obsessive d'un particulier qui a tout perdu, le tout sous l'angle du suspense. Dans les deux cas, les films ne sont pas à la hauteur des espoirs fondés en eux, handicapés par des scénarios beaucoup trop symboliques. Dans ce cas-ci, c'était pourtant Antoine Jaccoud à l'écriture, qui a pondu pour Ursula Meier ses très bons Home et L'enfant d'en haut. Sans doute que les grands espaces américains et toutes leurs conventions l'inspiraient moins, rendant sa plume plus éparpillée et beaucoup moins naturelle.