De la part de Jean-Pierre Jeunet, un film comme celui-ci ne devrait pas vraiment étonner. Mélange savant entre Delicatessen et Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, ce film-ci n'est pas difficile à concevoir tellement il est fidèle à l'esthétique et aux thématiques de Jeunet. Micmacs à tire-larigot est pourtant plein de surprises, toutes plus belles, drôles et émouvantes les unes que les autres. On savait à quoi s'attendre.
Le quidam Bazil reçoit en pleine tête une balle perdue qui demeure logée dans son cerveau. À son réveil, il est jeté à la rue, puis recueilli par un groupe hétéroclite de mal-aimés qui s'entraident et cohabitent. Lorsqu'il découvre que la compagnie qui a fabriqué la balle est en compétition directe avec la compagnie qui a fabriqué la mine qui a tué son père il y a plusieurs années, Bazil décide de retourner les deux marchands d'armes l'un contre l'autre. Pour ce faire, il fera appel aux talents inusités de ses nouveaux amis.
Parce que le film est situé hors de toutes conceptions rationnelles, il s'adresse directement aux émotions, ce qui a le malheur de réduire son impact social (bien trop simple pour être central, ici), mais la qualité d'accentuer la beauté incongrue des petits moments de bonheur des gens qui devraient être malheureux, mais qui s'obstinent à être heureux. Dany Boon s'installe avec grande efficacité dans cet univers presque sans dialogues, baignant dans ce monde farfelu comme s'il y était né. Les acteurs secondaires - comme toujours chez Jeunet - sont justes - dont les habitués André Dussolier et Dominique Pinon - mais évitent de peu le piège du surjeu.
Micmacs à tire-larigot est une comédie. Il ne faudrait pas oublier de rire sous prétexte qu'on est déstabilisé, qu'on ne sait pas ce à quoi on a à faire, car cela risquerait de gâcher le plaisir. Il ne faut pas s'adapter, il faut tout admettre de facto dans ce film où les chirurgiens tirent à pile ou face s'ils opèrent ou non. Dans ce monde impossible improbable où les habilités de nos nouveaux compagnons trouvent toutes leur utilité quelque part dans le plan, absolument tout est possible. Il n'y a rien d'autre à savoir.
Dans une ambiance festive, aidé d'un dynamisme rare qui entremêle avec talent le drame et la comédie, le réalisateur propose un conte moderne doux-amer qui aborde une thématique actuelle (celle de la cruauté désintéressée des marchands d'armes) sans que cela ne soit même important. La dénonciation ne surpasse pas la poésie, dans ce film-ci, et la construction dramatique (pratiquement anodine) ne surpasse pas la beauté du geste. Quelques flottements effraient en premier lieu, mais ne sabotent rien. La faute au scénario, amalgamé pour donner la belle part à des numéros de cirque inégaux.
Micmacs à tire-larigot est du pur Jeunet. On y retrouve ses acteurs préférés, les thématiques qui lui sont chères, la volonté de croire au hasard et un engagement social métaphorique. Ce n'est pas son meilleur film. Un film fantaisiste, qui flirte ici avec le burlesque. Savoir y faire, c'est savoir y faire; on peut tout étudier, tout comprendre, mais on ne peut pas apprendre le talent. Il est ici partout.