Mesures extraordinaires s'amorce avec la pire aberration qui soit au cinéma : « Inspiré par des faits réels. » D'abord parce que c'est toujours à la fois vrai et faux (tous les films sont, d'une manière ou d'une autre, « inspirés » de faits réels), mais aussi parce que la mention ouvre la porte à toute une série d'excuses, de « oui mais... » qui rendent (théoriquement) les gestes posés plus beaux, plus grandioses ou plus valeureux. Mais dans une salle de cinéma, c'est la manière (et l'effet qui en découle) qui compte, pas la justification ou la moralité. Que les gestes posés soient justes ou injustes, véridiques ou pas, n'est pas du ressort du cinéma, et donc de la critique non plus. Cependant, la manière, elle, est soumise à son jugement tyrannique et sans appel.
L'homme d'affaires de l'Oregon John Crowley doit s'occuper de ses deux enfants atteints du syndrome de Pompe, qui affecte leur mobilité et leurs organes vitaux. Suite à une crise respiratoire grave de sa jeune fille Megan, 8 ans, John se décide à contacter un chercher du Nebraska, Robert Stonehill, qui est en voie de trouver une enzyme qui pourrait permettre de sauver la vie des enfants. Les deux hommes vont mettre sur pied un laboratoire de recherche qui attirera l'attention d'une grande compagnie pharmaceutique qui acceptera de les financer, mais à certaines conditions.
Réglons d'abord une chose (et il ne s'agit pas de brûler le punch) : les enfants s'en sortent. Ils ne meurent pas; on ne tue pas un enfant dans ce genre de film. Un personnage secondaire qu'on n'a jamais vu, oui d'accord, mais pas un enfant heureux et épanoui malgré sa maladie. « Votre fille est une battante », apprend-on dans le film, dans ce qui atteint un sommet de quétainerie. À partir de ce postulat, comment faire pour créer un noeud dramatique pour un long métrage? Voilà la question à laquelle les scénaristes n'ont pas su répondre.
Les embûches qui ralentissent les recherches, inutiles parce qu'on sait qu'ils s'en sortent, sont créées artificiellement par le scénario. De la même manière, on construit un semblant de suspense en envoyant John chercher des enzymes illicitement, en pleine nuit, alors qu'il n'aurait qu'à être un peu plus intelligent pour, premièrement, s'en tirer, et deuxièmement, savoir qu'on n'administre pas des enzymes sans une surveillance médicale rigoureuse. Mais on semble tout pardonner, sous prétexte que c'est « vrai », que c'est « beau » de voir un père se battre pour ses enfants. Qui s'en sortent de toute façon. La solution est ailleurs, mais on n'a pas voulu la chercher. Même que les scénaristes se contentent de montrer la richesse accumulée par Crowley plutôt que de se demander si elle était moralement acceptable (ce dont on ne jugera pas ici), et si sa quête était égoïste ou empathique. Des questions intéressantes... qui ne sont pas dans Mesures extraordinaires.
Le film est particulièrement flagorneur envers le peuple américain, et regroupe assez simplement plusieurs des fleurons de sa fibre nationale : la famille (mère aimante, sans emploi, qui s'occupe des enfants à la maison et qui ne comprend rien aux affaires des hommes), et pick-up de l'année, symbole suprême d'indépendance et de virilité. C'est un peu absurde, mais surtout bien trop appuyé, et on demeure sceptique. D'autant que la réalisation est dans le même ton, n'hésitant pas à appuyer maladroitement d'une musique grandiloquente les discours (supposément) remplis d'émotions des comédiens, en plus d'une sorte de zoom in désagréable. On a l'impression d'être pris par la main.
Les comédiens, s'ils sont loin d'être spécialement inspirés, s'acquittent de leur tâche avec le minimum d'effort de rigueur dans ce type de film, se contentant de l'émotion évidente, sans chercher à ajouter de la profondeur à ces personnages. On a bien de la difficulté à croire que ces personnages, inspirés de vrais humains, sont si unidimensionnels. Ah! mais ce n'est qu'inspiré... donc, ce n'est pas vrai?