Fort d'une carrière inestimable qui s'échelonne sur plus de quatre décennies, Pedro Almodovar est encore capable de surprendre. Avec Mères parallèles, il propose certainement son film le plus politisé.
Il est notamment question des conséquences de la guerre civile espagnole et de traumas familiaux. De l'obligation d'éclairer le passé afin de cicatriser les plaies. Cela nécessite ici d'exhumer les corps oubliés dans une fosse commune afin de leur donner une sépulture digne de ce nom. Un travail de mémoire qui fait écho au magnifique Nuestras madres de Cesar Diaz et qui aurait, sans mauvais jeu de mots, mérité d'être creusé encore plus en profondeur.
Cette tragédie agit comme une épée de Damoclès, rappelant que la vérité libère et qu'elle rend libre. Fidèle à ses habitudes, l'homme derrière Volver développe un nouveau splendide portrait de femmes, filmant une amitié entre deux nouvelles mères (Penélope Cruz et Milena Smit) dans ce qu'il y a de plus beau et angoissant. Le scénario, non sans temps mort et détours hasardeux, ne manque pas de surprises et de révélations, et s'il emprunte des chemins parfois conventionnels, c'est pour mieux s'en détourner par la suite. Surtout qu'il s'attaque à des thèmes majeurs comme la transmission et la négation.
Après les émotions fortes du mélo parfaitement assumé de Julietta et la mélancolie irrésistible de Douleur et gloire, le créateur de l'illustre Parle avec elle calme un peu son jeu, troquant ses excès coutumiers pour une émotion latente, éclatante dans la dernière ligne droite. Comme toujours, sa maîtrise du médium laisse béat. Sa mise en scène huilée au quart de tour est activée par les mélodies vibrantes de l'éternel complice Alberto Iglesias. Puis il y a ce découpage exemplaire, aux ellipses significatives, et cette éclatante palette de couleurs, dotée d'un symbolisme proéminent. Un style unique qui a toutefois tendance à étouffer le récit.
Ce dernier est heureusement aéré et libéré par la présence de Penélope Cruz. Récompensée à Venise pour ce rôle exigeant et nommée pour la prochaine cérémonie des Oscars, l'actrice livre une performance éclatante, parmi ses meilleures. L'égérie d'Almodovar, qui tourne ici son septième long métrage avec son réalisateur fétiche, apporte charme, grâce et vitalité à un personnage complexe et ambigu. Elle forme d'ailleurs un duo particulièrement convaincant avec la nouvelle venue Milena Smit, dont l'évolution psychologique amène sa partenaire de jeu à se surpasser.
En mêlant la grande et la petite histoire, Pedro Almodovar accouche d'une oeuvre intime et puissante, dont le feu intérieur prend son temps avant d'exploser et se diffuser. Sans parler de sommet, Mères parallèles s'avère une création riche de sens, dont la retenue qui pourrait paraître peu flamboyante apporte au contraire une énergie renouvelée au cinéaste espagnol.