Quel est le dernier grand studio américain à avoir donné carte blanche à son cinéaste afin de pondre un film complètement cinglé et tordu? Il faut remonter à très loin, peut-être même jusqu'à Stanley Kubrick. Paramount vient de le faire avec Darren Aronofsky et Mother! risque de beaucoup diviser... et c'est tant mieux.
On sait depuis longtemps que le réalisateur américain n'a pas froid aux yeux. Il possède de l'ambition à revendre et un talent qui lui sort par les oreilles. Même s'il ne fait pas toujours l'unanimité, impossible de ne pas admirer ses créations, notamment ses oeuvres malades et incomprises comme The Fountain et Noah.
Le voici de retour dans le drame psychologique maculé d'horreur avec ce cousin encore plus incontrôlable de son propre Black Swan. On retrouve ce même grain, cette caméra vigoureuse qui colle continuellement aux basques de son héroïne. Le gros plan est omniprésent, le mouvement perpétuel et le spectateur ne tarde pas à avoir le tournis avant d'exprimer physiquement son inconfort.
Le récit offre une relecture du classique Rosemary's Baby, que Roman Polanski avait brillamment mis en images il y a un demi-siècle. La quiétude d'un couple (Jennifer Lawrence et Javier Bardem) est troublée par une visite impromptue d'inconnus (Ed Harris, Michelle Pfeiffer). Peu à peu, des événements incroyables surviennent et ils sont peut-être issus de l'imagination féconde de la maîtresse du logis.
Plus le long métrage avance et plus la narrativité classique laisse toute la place au ressenti. Un cauchemar dépravé prend forme et il éclate dans un dernier tiers chaotique et hallucinant. C'est la finale de Requiem for a Dream gonflée à la puissance mille. La logique se dissout, offrant la part belle aux allégories artistiques, politiques, économiques et religieuses, avec cette maison en toile de fond qui pourrait bien être le véritable personnage principal. Une mer d'interprétations possibles, bien que l'ensemble puisse également se savourer au premier degré.
Comme souvent dans ce type de délire qui va dans tous les sens, la prétention est de mise. Aronofsky n'a jamais été le cinéaste le plus subtil et il fait un Lars von Trier de lui-même en abusant des symboles et des métaphores. Il cherche parfois tellement à être ambigu et hors norme que sa vision simpliste qui tourne aisément à la provocation risque de lui exploser au visage. Mais tout cela est au profit d'un opus incandescent et survitaminé, aussi fascinant qu'irritant, hypnotisant dans ses lentes montées haletantes qui finissent par rugir allègrement par la suite.
Que l'on soit pour ou contre sa démarche, il faut s'incliner devant Jennifer Lawrence, qui trouve son meilleur rôle depuis Silver Linings Playbook. Peut-être que seul son amoureux réalisateur pouvait la ramener dans le droit chemin - et la torturer au passage - après tant d'années d'égarement. Javier Bardem campe avec son aisance habituelle un écrivain qui vampirise sa création, et quel bonheur d'obtenir enfin des nouvelles des trop rares Pfeiffer et Harris.
Il fallait tout un culot pour accoucher de Mother!. Le film mystérieux à souhait devrait être louangé et vilipendé pour les mêmes raisons. Une expérience cinématographique unique qui risque de nous accompagner pendant des jours et des nuits. Ça, c'est tout sauf banal.