La dernière année a été marquée par de grandes performances d'acteurs et d'actrices. Les Oscars auront la difficile tâche de déterminer qui entre Lily Gladstone (Killers of the Flower Moon) ou Emma Stone (Poor Things), et entre Paul Giametti (The Holdovers) ou Cillian Murphy (Oppenheimer), seront récompensés. On ne risque toutefois pas de retrouver les noms de Jessica Chastain et de Peter Sarsgaard pour Memory et c'est dommage, parce qu'ils le mériteraient tout autant.
La première trouve son meilleur rôle au cinéma depuis A Most Violent Year, il y a de cela une décennie. Elle campe une assistante sociale et mère monoparentale qui tente de vivre et d'aider les autres malgré son enfance agitée. Une interprétation subtile et toute en finesse, précise et bouillante à la fois, dont l'intensité semble constamment refoulée.
Le second, qu'on a vu partout mais dont on ne se rappelle jamais du nom (il était de The Lost Daughter et du dernier Batman), offre la performance de sa carrière. Il est tout simplement extraordinaire dans la peau d'un homme atteint de démence. Son jeu économe, tout en non-dits, permet de véhiculer l'émotion autrement que par la parole tant son corps entier en dit plus long que des échanges à profusion. La Mostra de Venise l'a d'ailleurs récompensé en 2023, à la barbe de Bradley Cooper pour Maestro.
Cette rencontre entre deux solitudes finit par ouvrir une boîte de Pandore vers le passé : une période trouble pour madame, et incertaine pour monsieur. Se replonger dans les souvenirs ne sera pas une sinécure, surtout si la mémoire est défaillante ou qu'elle n'est pas nécessairement conforme à la réalité.
Mais qu'est-ce que cette réalité? Le scénario ambigu joue d'allusions et de suppositions en laissant volontairement un voile brumeux sur la situation. Un drame latent se trame en sourdine, s'exposant lors d'une réunion familiale particulièrement bouleversante constituée d'un long plan fixe. Puis il y a cette magnifique réunion des corps dans une baignoire qui, sans offrir la rédemption ou la catharsis souhaitée, met un baume sur les souffrances.
Avant d'en arriver là, le récit un tantinet longuet et répétitif expose le quotidien de ses êtres éprouvés. Il le fait avec moult détails et nuances, sans être trop lourd ou didactique, même si l'ensemble peut souffrir d'errance plus convenue.
Le film est mis en scène avec minutie par Michel Franco. Le cinéaste mexicain qui s'est fait connaître avec ses drames psychologiques secs à la Michael Haneke (Después de Lucia, Chronic qui avait reçu le prix du scénario à Cannes, en 2015) s'est assagi depuis son traumatisant Nuevo Orden. Comme son précédent Sundown, la réalisation apparaît beaucoup plus sobre et élégante, privilégiant toujours ses personnages, ce qui peut finir par peser sur le rythme en place.
La photographie soignée du Français Yves Cape (qui a notamment travaillé avec Cédric Kahn, Martin Provost et Bruno Dumont) apporte le lustre nécessaire. Elle élève particulièrement le lieu où se déroule l'action. Éternel second violon à côté du riche Manhattan qui symbolise généralement la ville de New York, Brooklyn est filmé ici dans son élément naturel, fort et fragile à la fois, à l'image de ses héros qui souffrent, mais qui se dressent face à l'adversité.
Memory ne serait pas aussi puissant sans ses deux formidables interprètes. Jessica Chastain et Peter Sarsgaard livrent des prestations complexes qui méritent d'être soulignées dans les remises de prix. On ne peut que s'incliner devant le brio de ce déchirant duo.