Depuis la mort hilarante et complètement inattendue de Samuel L. Jackson dans Deep Blue Sea il y a près de 20 ans, les films de requins sont passés des horrifiants drames psychologiques (le premier Jaws demeure bien entendu la référence en la matière) aux parodies complètement stupides, dont la quintessence s'avère la série Sharknado. Voilà un genre cinématographique très lucratif, des séries B tellement mauvaises qu'elles font rire aux larmes. Qu'est-ce qui arrive lorsque Hollywood s'en empare? The Meg.
La bande-annonce qui donne l'eau à la bouche est d'ailleurs parfaitement représentative du long métrage. La première partie, d'un ennui abyssal, présente les personnages les plus stéréotypés possible coincés dans une intrigue qu'aurait reniée un enfant de sept ans. Au lieu de montrer simplement Jason Statham qui veut se venger d'un très gros poisson, on élabore des théories foireuses sur des recherches sous-marines, la découverte d'un monde oublié, un riche individu sans morale qui cherche à tout contrôler, etc. C'est un ersatz de Jurassic Park, à peine plus digeste que le dernier tome en liste. Si seulement le ton n'était pas aussi sérieux, on lui aurait pardonné ses errances, son manque de suspense et de surprises. Inclure un tout petit caméo de Meg Ryan, cela aurait été méta, n'est-ce pas?
Une longue heure s'écoule et le plaisir peut enfin prendre place. C'est là que notre requin préhistorique, communément appelé Mégalodon, a un petit creux et qu'il décide de le combler en ingurgitant des humains. Il n'y a peut-être pas le Beyond the Sea de Bobby Darin qui se fait entendre pour accompagner son buffet et sa digestion, mais quelques spectaculaires séquences d'attaques, desservies par des effets spéciaux efficaces et une utilisation surprenante du son. Soudainement on ose l'humour, les sacrifices inutiles, les morts volontairement mélodramatiques et les scènes quasi divines lorsque notre héros qui se prénomme Jonas - eh oui - s'en prend à sa proie. Ce n'est évidemment pas Le vieil homme et la mer, mais cela procure une certaine joie au passage.
Elle est malheureusement de courte durée tant l'odyssée ne remplit jamais ses promesses. Où sont les séances de carnage, le gore et les effets cheap? Laissez la mignonne fillette se faire engloutir et on se retrouve avec une sorte de Deadpool aquatique. Mais devant une production titanesque de 150 millions de dollars, on est bien loin d'un plaisir coupable façon Avalanche Shark. Et pour rentrer dans son argent, il faut viser le plus large public possible (donc être classé Général / Déconseillé aux jeunes enfants) et bien faire paraître la Chine, territoire où se définit maintenant le succès ou l'échec d'un blockbsuter américain. Dès qu'on commence à faire des concessions, on met de l'eau dans son vin, on tente de plaire à tout prix et tout est fini.
Surtout qu'ici, on ne retrouve aucun moment culte, comme ce fut le cas dans Mega Shark vs. Giant Octopus (quand le requin fait un vol plané pour détruire un avion) ou de Shark Attack 3: Megalodon (cet instant chaotique qui débute lorsqu'un homme vole le gilet de sauvetage à une femme). Les endroits qui passent près de marquer les esprits - le chien, les blagues de Rainn Wilson, le combat ultime - sont là par simple calcul, ce qui enlève une bonne partie de leur charme.
Peut-être que le récit envisagé à la base par le cinéaste Jon Turteltaub (National Treasure) à partir du roman de Steve Alten était très différent et que des producteurs sont passés derrière lui pour « arranger les choses » afin ne de choquer personne. Certaines pointes de satire sont clairement présentes lors de ce tronçon à la plage, notamment dans la façon de présenter cette masse égoïste qui ne se soucie guère de ce qui se trame si près d'elle. Ce Mégalodon aux dents acérées, n'est-ce pas justement un symbole de la superproduction hollywoodienne qui, depuis le Jaws de Steven Spielberg, a pris des proportions gigantesques, est devenue incontrôlable et dévore tout sur son passage, jusqu'à en devenir une caricature d'elle-même? Voilà une métaphore saugrenue noyée dans une mer de clichés, dont celui de reprendre un genre sanglant et amusant pour le dénaturer de ses principales fonctions en le rendant complètement inoffensif.
En France, The Meg s'intitule En eaux troubles. Un titre qui décrit finalement bien le résultat en place.