May December s'ouvre avec une des métaphores les plus élémentaires qui soit : une chenille qui deviendra un jour un papillon. Voilà le destin de ses personnages et, surtout, de ce film qui ne sait pas toujours quelle forme prendre.
On y fait la connaissance d'un couple en apparence sans histoire. Malgré leur différence d'âge, Gracie (Julianne Moore) et Joe (Charles Melton) filent le parfait bonheur, alors que leurs enfants vont bientôt graduer. C'est là que débarque Elizabeth (Natalie Portman), une comédienne connue, qui prépare un nouveau rôle. Elle personnifiera une version fictive de Gracie qui, il y a quelques décennies, a été mêlée à un scandale médiatique.
Ce nouveau long métrage du talentueux Todd Haynes tente d'être plusieurs choses à la fois. Il cherche tout d'abord à montrer comment l'art peut personnifier la vie. Non seulement il propose un film sur le cinéma, mais son héroïne Elizabeth n'hésite pas à vampiriser Gracie pour arriver à ses fins. Cela donne une joute psychologique intense et glaçante dans la lignée du mythique Persona d'Ingmar Bergman, avec de nombreux jeux de miroirs et de doubles, alors que les êtres semblent se métamorphoser à l'écran.
L'histoire élargit cependant son regard et sa perspective. Le scénario de Samy Burch s'inspire de l'affaire Mary Kay Letourneau (cette enseignante qui a couché avec un étudiant et a eu des enfants de lui) et explore les conséquences à long terme de cette relation. Cela lui permet de poser un regard sur cette Amérique trop parfaite qui finit par enterrer toutes traces de violence et de manipulations sexuelles afin de sauver les apparences.
Cette tendance à gratter le vernis du passé a toujours réussi à Todd Haynes. Souvenons-nous de son majestueux Far from Heaven (2002), où il utilisait le mélo à la Douglas Sirk pour faire ressortir l'hypocrisie, les désirs et les non-dits de ses sujets et, en filigrane, de l'Amérique des années 1950.
Son traitement demeure toutefois, ici, très discutable. Il s'abreuve à la source de la satire. Pas celle qui est élégante et raffinée, mais celle qui s'exprime sans demi-mesure. Un peu plus et on se croirait chez John Waters! Les situations sont parfois tellement grosses et risibles, les dialogues si peu subtils, que l'on finit par rire face à ce qui arrive. Un effet qui est appuyé par la musique tonitruante de Marcelo Zarvos. Évidemment que le tout se terminera avec une scène du film en préparation qui présente Hollywood sous son jour le plus rapace et insensible.
Cette ironie finit par expulser le spectateur du récit, qui ne prend jamais au sérieux les personnages et leurs enjeux. C'est d'autant plus dommage que les deux héroïnes se livrent de flamboyants duels. Muse du cinéaste depuis son angoissant Safe (1995), Julianne Moore offre une prestation riche et nuancée. Elle forme une chimie singulière avec Natalie Portman, qui trouve son meilleur rôle au cinéma depuis longtemps. Ce duo est tellement fort qu'il ne peut qu'éclipser les autres acteurs qui sont loin d'être tous convaincants. C'est le cas de Charles Melton (The Sun is Also a Star), qui apparaît terriblement fade. Encore là, peut-être que c'est voulu avec ce script qui se moque de tout, dont des thrillers psyco-féminin-sexuels si populaires pendant les années 1990 (pensons à The Hand That Rocks de Cradle et compagnie).
Fidèle à ses habitudes, Todd Haynes se dévoue entièrement au projet, appliquant au film une mise en scène soignée, élégante et sophistiquée, sans doute trop dans l'esbroufe, mais n'est-ce pas justement ce que demandait le sujet? Il est cependant moins passionné qu'à son habitude. Le premier réflexe est d'expliquer ceci en rappelant qu'il n'est pas l'auteur du scénario et qu'il se sent, ainsi, moins impliqué. Pourtant, cela ne l'a pas empêché d'offrir le magnifique Carol, un des titres les plus majestueux et essentiels de sa filmographie. Puis il y a eu récemment l'émouvant et mésestimé Wonderstruck et le solide drame Dark Waters.
Après s'être ressourcé avec un sujet musical (le fabuleux documentaire The Velvet Undergound), son retour à la fiction ne peut que décevoir. Pas que May December ne soit un film efficace et divertissant. Il est seulement trop poussif et élémentaire, à la limite grotesque, pour convaincre réellement et passionner totalement.