Ces temps-ci, les enquêteurs mythiques reprennent du service. Après le Hercule Poirot de Kenneth Branagh et le Maigret de Patrice Leconte, c'est au tour de Marlowe de résoudre une énigme sous la houlette de Neil Jordan.
Créé par Raymond Chandler, Philipp Marlowe est un détective légendaire qui a fait la pluie et le beau temps des amateurs de polars. Au cinéma, il a été en vedette de quelques longs métrages et deux fresques importantes: The Big Sleep d'Howard Hawks qui a changé à jamais le film noir, ainsi que The Long Goodbye de Robert Altman qui a aidé à instaurer le néo-noir.
Le voilà plonger dans une nouvelle intrigue. Chargé par une riche héritière (Diane Kruger) de retrouver son amant disparu (François Arnaud), Marlowe (Liam Neeson) découvre la face cachée d'Hollywood. Celle de 1939, qui n'est sans doute pas très éloignée de celle d'aujourd'hui.
Basé sur le livre The Blank-Eyed Blonde de John Banville, le récit embrasse les conventions les plus élémentaires. Il s'agit d'un univers de secrets, de mensonges et de trahisons. Entre la femme fatale, les nombreux individus suspects et le héros qui n'hésite pas à laisser son code d'honneur au vestiaire au profit des zones grises de la moralité, il n'y a rien pour surprendre outre mesure les admirateurs du genre.
Le scénario de William Monahan (oscarisé pour The Departed) se veut d'ailleurs plutôt linéaire et explicatif, s'embarrassant de symboles passe-partout comme un jeu d'échecs. Sa progression répétitive qui mélange beaucoup de blabla et un peu d'action finit rapidement par ennuyer. Faut-il prendre le tout comme un pastiche? Une satire? Une série B méta? Il s'agit sans doute d'un peu tout cela. Sauf que sur le plan strictement narratif, la machine possède peu d'éléments en sa faveur, titillant superficiellement ses thèmes tout en livrant un divertissement oubliable.
Il faudra donc regarder ailleurs pour ne pas décrocher. Contrairement aux classiques du genre qui sont souvent en noir et blanc, le long métrage étonne dans son utilisation des couleurs. Un élément esthétique qui est le bienvenu, offrant quelques moments hallucinants aux néons. Le tout est doublé d'un soin constant au niveau de l'élégante recréation historique. Il fallait toutefois s'attendre à un peu plus d'un vieux routier comme Neil Jordan, auteur d'oeuvres mémorables comme The Crying Game et The Butcher Boy, qui avait déjà baigné avec succès dans le film noir avec Mona Lisa. La carrière du cinéaste irlandais semble malheureusement sur une pente descendante, comme le laissait présager son précédent et incohérent Greta.
La morosité de l'ensemble n'empêche pas les comédiens de se prêter au jeu avec plaisir. Même si la solide distribution - qui comprend Diane Kruger, Jessica Lange, Danny Huston et Alan Cumming - est coincée dans des rôles monolithiques, leurs interprètes offrent des performances plus qu'acceptables. Depuis toutes ces années où il joue toujours le même type de personnage dans des productions interchangeables, il est facile d'oublier que Liam Neeson est un bon acteur. Peut-être fallait-il simplement qu'il renoue avec le réalisateur qui l'a aidé à lancer sa carrière (notamment grâce au puissant Michael Collins) pour que ses repères et ses instincts lui reviennent. Bien qu'on le voit peu à l'écran, le Québécois François Arnaud fait également bonne impression.
Tout cela est évidemment trop peu pour réellement recommander Marlowe. Pas besoin de révolutionner le genre comme pouvait le faire The Maltese Falcon ou Chinatown à une autre époque. Mais il est toujours possible de le secouer brillamment (L.A. Confidential), sur fond de psychotropes (Inherent Vice) ou en demeurant dans les bons vieux archétypes (Motherless Brooklyn). Il fallait seulement y insuffler une passion qui manque cruellement à l'appel et qui fait toute la différence entre un film noir de qualité et une variation soporifique qui s'oublie en deux temps trois mouvements.