Avec ses fabuleux courts métrages et son excellent Marécages, Guy Édoin était l'un des cinéastes québécois les plus prometteurs de la nouvelle génération. Puis il y a eu un documentaire beaucoup moins mémorable sur la peintre Corno, le très décevant Ville-Marie et des projets à la télévision qui ont tôt fait de le reléguer dans l'ombre. Le voilà finalement de retour sous les projecteurs avec Malek, qu'il a tourné en 2017.
À priori, on retrouve ce qui charme tant chez le réalisateur : cette façon à la Fassbinder de montrer le désir charnel, avec sensualité et même érotisme. La caméra frôle les êtres et filme de près leurs corps, gracieuseté de la direction photo soignée de Michel La Veaux. La chaleur monte et les jeux de lumière clairs obscurs en hommage à Caravage se font ressentir, amenant un éclairage nouveau à cette histoire bien sombre.
Car cette adaptation du roman de Rawi Hage baigne dans une noirceur certaine. Elle raconte le quotidien d'un immigré libanais qui a survécu à une tentative de suicide et qui ne retrouvera la quiétude qu'après avoir affronté son passé. Pas surprenant alors de voir ce Montréal frigorifié et isolé enseveli sous la neige, à l'image de la solitude qui ronge son protagoniste.
Ce récit n'est pas nouveau - pensons aux créations locales Là où Attila passe et Montréal la blanche qui exploraient des thématiques similaires - et son metteur en scène le traite comme toujours à la façon d'une tragédie grecque. Un conte où la vérité a tôt fait de se heurter aux mensonges, aux rêves et aux hallucinations, jusqu'à une conclusion dérangeante, réelle ou fantasmée.
On n'arrive toutefois pas là sans peine et misère. Peut-être est-ce le livre original ou le scénario de Claude Lalonde (Origami, 10 et demi), mais la trame narrative parsemée d'incohérences manque de chair. Les sauts entre le présent montréalais et les souvenirs libanais limitent l'impact tant ils sont escamotés à la va-vite. Cela se fait ressentir sur les enjeux, quelque peu didactiques, et la psychologie des personnages, sommaire malgré l'intensité de l'interprétation.
Il y a surtout cette manie de tout expliquer à la moindre occasion, qui limite grandement la portée de l'oeuvre. Une fonction qui peut être verbale (cette dichotomie sociale et simpliste entre l'Occident et l'Orient, cette façon de se confier à une psychologue), mais également scénaristique (chaque élément a son importance. Ainsi la fille du restaurateur jouera un rôle clé et la drogue doit bien expliquer les visions) et cinématographique (cette jolie musique s'avère rapidement envahissante).
C'est d'autant plus dommage que les acteurs s'investissent corps et âme. Particulièrement Tewfik Jallab, vu au grand écran dans Lola Pater et au théâtre chez Wajdi Mouawad, qui est tout simplement renversant. Voilà un premier rôle principal masculin dans la filmographie d'Édoin et il aime le filmer sous tous les angles... sans pour autant oublier ses personnages féminins forts que sont Karine Vanasse et la flamboyante révélation Hiba Abouk.
Ponctuant une renaissance tardive vers la lumière pour son antihéros hanté et torturé, Malek ne fera pas nécessairement le même effet dans la carrière de son réalisateur. Ce dernier a beau dévoiler tout son savoir-faire technique (par exemple l'introduction mouvementée pique instantanément la curiosité), le propos qui guide l'ouvrage n'est pas du même calibre. Mais bon, il y a eu de l'amélioration depuis le précédent film, alors gardons espoir...