Gérard Depardieu dans la peau du célèbre commissaire Jules Maigret? L'idée va de soi. C'est d'ailleurs le principal coup d'éclat du film de Patrice Leconte, qui ne passera malheureusement pas à l'histoire.
Adapter l'immense auteur George Simenon au cinéma n'est pas évident. Il faut être fidèle au matériel source tout en proposant une réelle vision personnelle. Les transpositions réussies dans l'histoire du septième art se comptent d'ailleurs sur les doigts de deux mains et elles comprennent La chambre bleue de Mathieu Amalric, L'homme de Londres de Béla Tarr, Feux rouges de Cédric Kahn, L'horloger de Saint-Paul de Bertrand Tavernier, Panique de Julien Duvivier et Les inconnus de la maison d'Henri Decoin.
Surtout connu pour ses comédies cultes comme Les bronzés, le cinéaste Patrice Leconte a le mérite d'avoir offert par le passé l'une de ces plus brillantes variations avec Monsieur Hire. C'était en 1989, à son apogée créatif. Depuis les longs métrages inégaux se sont succédés et le voici retrouver un semblant de forme après le médiocre Une heure de tranquillité.
À son meilleur en mode sérieux, le créateur de Ridicule et Le mari de la coiffeuse s'est bien approprié l'essence de son populaire sujet avec cette adaptation de Maigret et la jeune morte. L'important n'est pas tant la simple et prévisible intrigue que son développement, cette façon de présenter des personnages qui ne sont pas tout à fait noirs ou blancs. Le héros traîne une fêlure, les gens interrogés se cachent derrière le mensonge pour éviter de souffrir et un fantôme semble sans cesse rôder.
Il ne faut donc jamais se fier aux apparences dans cet univers où il sera question d'une société qui finit par broyer les jeunes femmes, de rapports inégaux de classes sociales et d'ambiguÏté sexuelle. Des thématiques riches qui sont abordées un peu superficiellement. Surtout que le ton verbeux, le rythme indolent ainsi que le manque de tension et d'émotions finissent par plomber l'intérêt du cinéphile.
Visuellement, le récit en impose. La recréation stylisée des années 1950 demeure volontairement artificielle. L'ombre de l'expressionnisme allemand plane dans l'atmosphère dénudée et cette façon dont les couleurs, la lumière et les ombres s'agencent et se mélangent, créant une ambiance assez particulière qui est portée par une trame sonore délicate et minimaliste de Bruno Coulais. Ce travail au niveau des détails peut paraître appliqué, mais la production qui semble provenir d'une autre époque respire difficilement, relevant trop d'une simple mécanique de mise en scène.
Capable du meilleur (Illusions perdues) comme du pire (Maison de retraite) plus tôt cette année, Gérard Depardieu campe un impressionnant Maigret qui n'a rien à envier à celui défendu auparavant par Jean Gabin. Le comédien est sobre, fragile et sensible, dans l'économie de moyens. Cela lui permet de faire ressortir sa fatigue et sa lassitude, de teinter de mélancolie cet être usé par le temps. Un effort particulier a été apporté à son intimité familiale, à cette solitude qui semble émaner de presque chaque scène. Le dernier plan demeure à ce chapitre éloquent.
Le film devient presque, indirectement, un documentaire sur le corps de son acteur, qui se meut dans un espace trop serré pour lui, étant encore capable d'humanité, notamment lorsqu'il se rase et qu'il lance un sourire discret à la glace. Si le commissaire ne peut plus fumer sa pipe pour des raisons de santé, il a conservé son légendaire sens de l'humour. Surtout lorsqu'on lui demande : « Vous avez mangé? », et qu'il répond : « Jamais en buvant ».
C'est son interprète qui donne tout son charme et sa grandeur d'homme/d'âme à cet essai parfois bancal et désuet, pas désagréable pour autant, mais à mille lieux des plus puissantes transpositions cinématographiques des romans des Simenon.