S'il y a un créateur qui n'a encore jamais déçu, c'est bien Emmanuel Mouret, le roi de la comédie mélancolique à la française. Même avec ses petits crus (Caprice, L'art d'aimer, Fais-moi plaisir!), son charisme singulier opère à plein régime, rendant instantanément le coeur plus léger. Alors imaginez lorsqu'il se dépasse, comme c'est le cas sur Mademoiselle de Joncquières, à classer parmi ses meilleurs opus.
Le voilà plonger dans son premier film à costumes, au 18e siècle plus exactement, suivant les tourments du marquis des Arcis (Édouard Baer) qui en pince pour la jeune Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz), au grand dam de sa bonne amie Madame de La Pommeraye (Cécile de France).
Ce récit de Diderot a déjà été transposé brillamment au cinéma par Robert Bresson, sous le titre Les dames du bois de Boulogne. Mouret en offre une adaptation bien différente, se rapprochant davantage des Liaisons dangereuses de Laclos, cynisme en moins. Voilà un cinéaste qui a toujours aimé ses personnages, bien qu'imparfaits, et qui les suit dans leurs désirs et leur jalousie, sans jamais les juger. Le ton léger et ludique devient soudainement grave et tragique, embrassant une noirceur qui est rare chez son auteur.
D'aucuns seront surpris de découvrir Édouard Baer dans ce rôle qui lui va comme un gant. L'acteur excelle à déblatérer ces mots d'esprit avec son charisme légendaire, misant toutefois sur l'honnêteté des sentiments, ce qui contraste avec ce côté impertinent et facétieux qui a fait sa renommée. Face à lui se dresse Cécile de France, tantôt exquise tantôt impériale, qui change radicalement de registre avec une grâce qu'on ne lui connaissait pas. Le duo mène le bal, n'éclipsant pourtant jamais le reste de la jolie distribution.
Évidemment, ce sont les dialogues qui brillent et de ce côté, Mouret assure à plein régime. Les échanges pétillent et scintillent, charmant rapidement l'ouïe de leur prose musicale. Tous ses thèmes de prédilection s'y retrouvent (cette façon de mettre à nu ce qu'on ressent par la parole, le temps qui érode le désir...), dépoussiérés pour l'occasion alors qu'une plus grande place a été laissée aux jeux de manipulations, aux combats de classes sociales et à cette dichotomie entre le plaisir libertin et la rigidité des moeurs. Le scénario, fluide et élégant, a beau paraître artificiel à quelques endroits et un peu redondant dans sa durée, ce n'est rien pour gâcher le plaisir rencontré.
Surtout que cette fois, le réalisateur a soigné davantage sa mise en scène. La photographie luxueuse regorge de tableaux, utilisant la nature à bon escient. Puis il y a ces longs plans dans la première partie qui deviennent de plus en plus tumultueux au fil du récit, comme ces battements de coeur qui s'emballent devant l'être cher. La musique classique représente d'ailleurs en plus d'une occasion ce souffle de vie qui fait tomber les masques et oblige les êtres à un peu de sincérité.
Toujours inspiré par le cinéma de Rohmer, Truffaut et Allen, mais également celui de Renoir et Lubitsch, Emmanuel Mouret apparaît en très belle forme sur Mademoiselle de Joncquières. Sans doute qu'il faut déjà avoir un faible pour cette façon pas tout à fait naturelle d'utiliser la poésie des verbes, mais ses fans seront plus que ravis par ce nouveau long métrage, son plus réussi depuis le magistral Un baiser, s'il vous plaît.