Mademoiselle Chambon est un film d'apparence modeste. Il pratique le non-style, se plaçant en défenseur de la simplicité, s'ancrant délibérément dans une certaine forme de réalisme cinématographique. Ses acteurs jouent la réalité (déjà une contradiction) et son réalisateur mise sur l'économie (des mots et des moyens) pour émouvoir. Cela ne fonctionne qu'à moitié, parce que Mademoiselle Chambon n'est pas modeste du tout.
Jean vit avec sa femme et son fils dans une petite ville de France. Maçon, il est un homme de peu de mots, mais il est heureux en ménage. Lorsqu'il fait la rencontre de l'institutrice de son fils, une femme qui vit seule et qui change constamment d'école, il tombe amoureux d'elle. Leur amour laconique prend vie à travers quelques mesures de violon. Elle a l'opportunité de s'installer, et lui de quitter sa famille pour elle.
Lorsqu'on l'envisage comme un mélodrame, Mademoiselle Chambon a de nombreuses et rares qualités. D'abord une modestie des mots, qui laisse toute la place aux comédiens (tellement qu'on a presque l'impression que c'est intentionnel... comme si on leur disait : « Allez-y, gagnez-vous un César! »). Ensuite une utilisation toute aussi modeste de la musique, qui vient - pour une fois - véritablement appuyer les scènes où elle est utilisée et la trame narrative. La musique est la clé de l'amour entre ces deux personnages. Et l'amour entre eux est tout ce qu'il y a à dire sur eux.
Voir cet amour naître est le principal objectif de Mademoiselle Chambon. Où le chercher? Où le trouver? Certains films choisissent de le souligner à gros traits, et peu se donnent la peine de chercher pour vrai : dans les détails, dans le subtil. Quand cela fonctionne, c'est tout simplement enivrant. Mais c'est rare, très rare, surtout quand les deux comédiens traînent avec eux une panoplie d'autres performances (plus inspirées). Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain jouent un rôle qu'ils ont déjà joué. Sans être, ni un, ni l'autre, mauvais ou bon, ils sont prisonniers de cette ambiance de mélodrame, cette atmosphère de lourdes respirations, de contre-son-gré et de pulsions plus fortes que tout.
Accentué par la réalisation anonyme de Stéphane Brizé, ce type de jeu a ses bons moments et émeut, souvent. Malheureusement, le point d'orgue du film prêche par excès de mélo : le film aurait pu se terminer avec bien plus de panache au moins une demi-douzaine de fois lorsqu'il se termine enfin, dans une sorte de mièvrerie réconfortante, une chute dramatique toute factice et son retour conventionnel à la paisibilité de la situation initiale. L'exercice de manipulation devient non seulement évident, il est aussi vaniteux et exclusif : si vous ne voyez pas (l'amour), c'est votre faute.
Jean est si simplement défini qu'on en vient à se demander : dramatiquement parlant, est-il préférable qu'un homme bon (il aime sa femme, prend soin de son vieux père, est près de son fils) soit tenté par l'infidélité, ou qu'un homme faillible soit victime du même mal? Est-ce une infidélité, ou est-ce l'amour (et lequel est pire)? Si Mademoiselle Chambon était une oeuvre plus sentie, plus épidermique - qui a dit « plus modeste »? -, on dirait que le réalisateur « laisse le temps » aux émotions de fleurir à travers les failles d'un asphalte craquelé. Mais il n'y a pas de craques dans cette vie familiale presque trop belle pour être vraie. Est-ce qu'on voulait bêtement illustrer? « On ne sait pas où et quand l'amour frappera. » « L'amour, ce n'est pas contre personne, c'est pour soi. » Espérons que non.