Lucy fait preuve d'une gradation assez stupéfiante. Plus le film avance, plus l'intelligence de la protagoniste se développe - utilisant ses capacités cérébrales de plus en plus -, plus la qualité du film se dégrade. La première scène qui met en scène l'héroïne et un inconnu dénommé Richard discutant sur le parvis d'un hôtel coréen est entrecoupée par des images abstraites qui font office de métaphores et de commentaires, instaurant dès lors une forme particulière qui nous donne envie de connaître la suite et qui nous redonne momentanément espoir face au génie de Besson. Malheureusement, les choses se gâchent au fil de l'évolution des facultés mentales du personnage principal. Lorsqu'elle atteint le 100%, le récit prend une tangente si absurde qu'on a peine à croire que le réalisateur de Fifth Element peut descendre si bas.
Il y a vraiment de tout dans Lucy : des courses de voitures, de la philosophie, des fusils, de la science, de la drogue, des méchants Chinois, des gentils Français, de la technologie, de l'humour, de l'histoire, de belles filles peu vêtues, de la vengeance, des meurtres sordides et des effets spéciaux. Le mélange, même hétéroclite, aurait pu donner un résultat intéressant s'il avait été intelligemment dosé, mais, malheureusement, tous ces éléments qui caractérisent - certains plus que d'autres - le cinéma de Besson semblent avoir été catapultés à l'écran sans vue d'ensemble.
Que la théorie du 10% soit vraie ou fausse (que l'homme n'utilise que 10% de ses capacités cérébrales), là n'est pas le débat. Le cinéma s'est souvent approprié le concept et des films relativement efficaces en sont ressortis, donc la vérité importe peu. Le problème se trouve davantage au niveau de l'interprétation de la théorie. Que la personne développant son intelligence à une vitesse fulgurante puisse entendre les conversations de tiers qui se trouvent à plusieurs mètres est acceptable, mais qu'elle puisse contrôler les objets, les choses et le temps n'est plus tout à fait raisonnable. Il y a des limites à l'exploitation d'une théorie et il semblerait bien que Besson s'était donné comme mission d'outrepasser la frontière, jusqu'à l'invraisemblable, même pour de la science-fiction.
Scarlett Johansson est l'un des points positifs de cet étrange tableau que nous livre Besson. Il fallait une actrice avec un charisme monstre pour assumer un personnage comme celui-ci. Comme le paradoxe et le désordre s'installent rapidement au sein du récit, il fallait quelqu'un de talentueux et d'envoûtant pour détourner l'attention du spectateur sur les véritables enjeux (qui sont plutôt absurdes). Johansson fait un travail fantastique en ce sens. Évidemment, elle paraît télécommandée du début à la fin, mais on peut lui pardonner en soulignant que c'est ce que ce rôle exigeait.
Malgré un manque d'homogénéité évident tant artistique que symbolique que narratif, Lucy s'avère un divertissement honorable. Luc Besson nous avait tellement déçus récemment (notamment avec son The Family et Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec) qu'il est réconfortant de le voir reprendre les rênes d'une production passable. Lucy ne sera certainement pas le porte-étendard de la science-fiction moderne, mais il saura certes distraire, sans prétention, quelques cinéphiles accommodants.