Rachid Bouchareb campe dans l'actualité (2005, ça semble loin, mais seulement parce qu'on oublie vite) une histoire universelle de rencontre entre les religions. Mais plutôt que d'opposer les doctrines et les croyances, il oppose les individus - tout éloigne ces deux-là : elle est une femme, lui un homme, elle est chrétienne, il est musulman, elle est petite, il est grand (c'est parfois aussi anodin que ça), etc. - lorsque confrontés à la certitude la plus incontestable que nous ayons de l'humanité, la mort. Et dans ces circonstances, il est évident que cette histoire en est une de communion et de compréhension. L'illustration est on ne peut plus simple, mais elle n'est pas moins inspirée pour autant.
Suite aux attentats qui ont ébranlé Londres en juillet 2005, Elisabeth, une fermière protestante, s'inquiète pour sa fille, qu'elle est incapable de rejoindre. Elle se rend donc chez elle, dans la capitale, où elle est introuvable. Ousmane, un garde forestier français musulman d'origine africaine, se rend aussi à Londres afin de retrouver son fils Ali, disparu depuis la tragédie. Alors qu'Elisabeth découvre que sa fille s'intéressait à la culture arabe et à la religion musulmane, elle n'a d'autre choix que de trouver un peu de réconfort auprès d'Ousmane, qui vit le même drame qu'elle.
Même si le scénario de London River - ou justement « À cause de... » - ne recèle d'aucunes véritable surprise, qu'il demeure modeste dans ses considérations (il ne s'agit pas d'un film choral) et qu'il n'aborde pas un problème universel (en fait, il se sert d'un exemple pour parler de l'universel), il est plutôt efficace. À l'exception de quelques maladresses, il expose efficacement et rapidement les bases du problème, et bâtit une tension dramatique porteuse et cohérente. C'est dans la modestie de ses intentions que le film trouve sa force. On s'imprègne donc instantanément de cette histoire jouant sur plusieurs niveaux émotifs à la fois. La tristesse, souvent évidente au cinéma, devient ici logique, sentie.
Les personnages principaux sont suffisamment complexes et suffisamment vraisemblables pour qu'on s'y intéresse. Le racisme « mou » de cette femme ignorante (donc effrayée) face à la culture musulmane s'avère non seulement d'actualité, mais également particulièrement bien illustré ici. Sa méchanceté, frustrante à l'écran, apparaît particulièrement plausible, en particulier lorsqu'on évoque la possibilité qu'Ali ait pu être responsable des attentats. Le film se sert de l'équation elle-même (Musulman = terroriste) pour en illustrer toute la bêtise et l'ignorance. Un moment fort. D'autant qu'on ne porte pas de jugement sur cette femme démunie, qu'on la représente avec compassion, avec une sorte d'espoir. C'est pour cette même raison qu'il n'y a que bien peu de surprises dans London River.
Mais ces illustrations, pleines de bonne foi, sont parfois trop simplistes (le premier contact amical entre les deux personnages principaux se produit lorsqu'ils réalisent « qu'ils ont les mêmes mains » de travailleurs de la terre) et quelques revirements du scénario, en particulier en fin de parcours, manquent de vigueur. Le dénouement, attendu, en perd quelque peu de sa puissance. Heureusement, le film n'affecte pas le jugement du spectateur en utilisant les nombreux artifices du cinéma. Cela en fait une oeuvre ouverte, disponible, et à l'écoute de l'autre.