Est-ce que Lincoln est un grand film? Oui, dans le sens de « à grand déploiement »; le sujet est plus grand que nature, le combat est valeureux, les personnages sont des « grands hommes » de l'histoire des États-Unis et la durée est celle des grandes fresques historiques (2h30). Mais est-ce que ce Lincoln, réalisé par le Steven Spielberg qui a fait tant de « grands » films au cours de sa fructueuse carrière, joué par le même Daniel Day-Lewis qui a tant de « grands » rôles à sa filmographie, et racontant l'histoire de l'homme politique le plus aimé de l'histoire des États-Unis, est le véritable chef-d'oeuvre qu'il devait être? Si on vous le demande, c'est que...
Si le personnage défendu par Day-Lewis est rapidement attachant et souvent inspirant, c'est que sa quête fait office de combat nécessaire (qui est d'ailleurs particulièrement cohérent dans la filmographique de Spielberg, aux côtés d'Amistad et de The Color Purple), et ce, même si l'issue ne fait jamais de doute. La qualité de la reconstitution, le talent des acteurs, même les plus secondaires, transparaissent à l'écran, rendant grisante l'époque pas si lointaine de cette guerre qui aurait pu changer la face du monde.
Mais force est de constater que Lincoln n'est pas un film biographique sur le seizième Président des États-Unis; c'est une chronique sur une partie de sa vie, son combat pour faire adopter le Treizième amendement à la Constitution (qui interdit la servitude involontaire) et sur les derniers mois de sa vie, sur fond de Guerre civile. Déjà, cela réduit grandement l'ambition du projet - pas sa réussite, seulement son aspiration, son « coefficient de difficulté », disons - et cela réduit le film à un enjeu simpliste qui ne justifie pas la légende autour de Lincoln. D'un côté, le film ne le déifie pas inutilement, mais de l'autre, voilà banalement un récit historique qui pourrait être lu dans un livre d'histoire.
Et comme l'Histoire de laquelle ce film s'inspire, tout est déjà joué. L'esclavage est illégal aux États-Unis, Abraham Lincoln est mort, abattu le 14 avril 1865 par John Wilkes Booth, et le film en est tellement conscient qu'il ne ressent même pas le besoin de nous le montrer. De bien des manières, ce film n'est pas son histoire, même si on distingue sa silhouette sur l'affiche, et pour cette raison la proposition de Spielberg ne parvient pas à rendre son récit aussi enthousiasmant qu'elle le devrait. Peut-être parce que la conclusion n'est pas en jeu...
Au final, Lincoln est un film compétent qui ne déçoit pas. Comme on le dirait peut-être de la lutte menée par Lincoln et ses acolytes pour faire adopter cet amendement révolutionnaire (du bout des lèvres, en refusant d'admettre que les « Nègres » sont l'égal des Blancs, mais bon, l'Histoire est ce qu'elle est, et les hommes aussi) : ce qui devait être fait le fut. Espérons que, comme dans le cas de l'Histoire de laquelle il s'inspire si fièrement, ce film serve à quelque chose d'aussi grand. Mais à quoi? Ça aussi, je vous le demande...