Bien avant sa sortie en salles, Lignes de fuite a été souvent présenté comme le Déclin de l'empire américain d'une autre génération. En effet, on sent une certaine parenté entre l'oeuvre de Denys Arcand et celle de Catherine Chabot et Miryam Bouchard. Leur approche sans filtre, leurs répliques mordantes et leurs personnalités colorées ne sont que quelques-unes de leurs affinités. Est-ce que Lignes de fuite deviendra un classique pour les Y comme Le déclin de l'empire américain l'a été pour les Boomers? C'est à suivre, mais la comédie dramatique possède certainement des qualités clés qui lui permettent d'aspirer au titre.
On y suit trois amis d'enfance qui ont pris des chemins différents dans la vie et qui se retrouvent pour assister au vernissage de la conjointe de l'une d'elles à Montréal. Celles qui partagent beaucoup de souvenirs ensemble n'ont plus rien en commun aujourd'hui, mais continuent d'entretenir leur amitié. Au fil de la soirée, leur relation deviendra de plus en plus conflictuelle et elles en viendront à se demander si rester des amis est toujours une bonne idée. Leurs échanges souvent fougueux seront une façon d'aborder des enjeux générationnels, tels que l'anxiété, le réchauffement climatique, l'identité sexuelle, le couple et la liberté d'expression.
L'écriture et l'humour corrosif de Catherine Chabot (aidé aux textes par Émile Gaudreault) font tout le charme de ce film, qui se distingue par l'acuité de son discours intransigeant. Le long métrage s'adresse à la génération Y (personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990) et il frappe dans le mille. Impossible que le public cible ne se sente pas concerné par ses thèmes et ses valeurs. La musique, très moderne et expressive, risque fort de toucher certaines cordes sensibles des millénariaux.
Le casting irréprochable contribue également au succès de la comédie dramatique. Si Catherine Chabot et Léane Labrèche-Dor livrent des monologues puissants, Mariana Mazza n'est rien de moins qu'éblouissante! Enfin, on offre un rôle à l'humoriste qui lui permet de démontrer l'étendue de ses talents d'actrice. Sa Sabina est bien loin d'elle (du moins, de ce qu'on connaît d'elle) et de la voir s'épanouir à travers un personnage plus sensible et nuancé est jouissif. Maxime de Cotret est l'autre surprise de cette fabuleuse distribution. Il incarne un plombier beauceron qui ne possède pas beaucoup de fini, mais qui est hautement sympathique et attachant. Le voir débarquer dans un vernissage avec son pick-up et sa chemise à carreaux est un pur plaisir. L'acteur arrive à ne pas tomber dans la caricature du « colon » de service et nous émeut sincèrement. Mickaël Gouin s'avère aussi remarquable dans un contre-emploi emballant!
Malgré un ensemble plutôt exemplaire, la finale de Lignes de fuite déçoit légèrement. L'histoire se conclut un peu trop brusquement, tellement qu'on s'étonne de voir le générique défiler déjà. Bien tassé en 95 minutes, le film aurait pu profiter de quelques minutes supplémentaires pour échafauder un dénouement moins chaotique. Mais outre cette fin prompte, Lignes de fuite s'avère hautement convaincant. Il brosse un portrait adéquat d'une génération assumée, ouverte, libérée, mais trop souvent inconséquente dans ses gestes et convictions.