Il y a près d'une décennie, le Canadien Sean Durkin avait réalisé et scénarisé Martha Marcy May Marlene, un film formidable sur les sectes et le processus d'endoctrinement. Le voici enfin de retour avec The Nest, un second long métrage presque aussi inquiétant qui vient de se mériter trois prix importants au réputé Festival de Deauville.
Il s'agit d'une autre création sur le pouvoir des chimères. Celles d'un nouveau départ, d'une vie meilleure, de ce rêve américain qui conduit une famille unie et déjà privilégiée à déménager ses pénates afin de s'élever socialement et récolter encore plus d'argent. Face aux apparences, les mensonges portent leurs fruits, jusqu'au temps où la réalité rappelle tout le monde à l'ordre.
Dans ce thriller horrifique et psychologique qui évoque subtilement Rosemary's Baby et The Shining, la terreur prend la forme du capitalisme sauvage, de l'ambition qui corrompt, de la cupidité qui fragilise les fondations mêmes des relations avec autrui. Les balbutiements du néolibéralisme ne sont jamais loin, surtout que l'intrigue se déroule en Grande-Bretagne et que les excellents choix musicaux - The Cure, Psychedelic Furs, New Order - font écho aux années Thatcher et Reagan. Le trait n'est pas toujours subtil ou original, sauf qu'il est développé avec une efficacité indéniable au détour d'une satire bourgeoise que n'aurait pas reniée Claude Chabrol.
Au sein de ce clan familial déraciné qui éclate en morceaux, chacun de ses membres est perdu, recherchant inlassablement son âme. S'extirper de leurs conditions passe par un retour aux sources, aux sens physiques, que ce soit la danse ou une fête entre amis qui dérape. Les enfants sont littéralement oubliés des parents et l'accent est mis sur les adultes à travers le prisme d'un couple qui s'éloigne irrémédiablement. Grotesque et charismatique à la fois, Jude Law trouve un de ses plus beaux rôles depuis des lustres, formant une étonnante symbiose avec l'impeccable Carrie Coon (Gone Girl) dont l'identité changeante lui permet de se démarquer. Bien entendu, devant le manque - volontaire - d'humanité des personnages, le transfert émotif se fait sur le cheval de madame. Une présence symbolique qui évoque l'immense They Shoot Horses, Don't They? de Sydney Pollack.
La mise en scène sophistiquée tente de combler le vide de leur existence à l'aide d'un rythme lent et d'éclairantes trouvailles esthétiques. La plus éclatante est certainement cet immense manoir qui, malgré son faste et son opulence, demeure sans cesse dans la noirceur. Puis il y a ces élégants jeux de caméra qui s'exécutent à des fins de solitude ou de voyeurisme, l'immense soin apporté à la photographie, la musique envoûtante de Richard Reed Parry, etc. Un peu plus et l'exercice de style prend le dessus sur le contenu.
Glaçant et hantant malgré un dernier plan étrangement réconfortant, The Nest ne possède peut-être pas le même impact que son prédécesseur Martha Marcy May Marlene. Mais cela n'empêche pas cette angoissante fable de fasciner allègrement dans sa façon de mêler l'économique au domestique. En espérant qu'il ne faille pas attendre encore neuf ans avant d'avoir des nouvelles de son talentueux créateur.