Oubliez Astérix et Obélix: L'empire du milieu. La grande fresque cinématographique française de 2023 se nomme Les trois mousquetaires et elle prend la forme d'un diptyque dont le premier épisode, D'Artagnan, risque de séduire un large public.
Les adaptations cinématographiques du classique d'Alexandre Dumas sont nombreuses, autant chez Disney qu'en trois dimensions, prenant même la forme d'une formidable série animée japonaise. La plus célèbre étant sans aucun doute celle de 1973 qui mettait en vedette des stars comme Charlton Heston et Faye Dunaway. Il faut toutefois remonter cinq décennies pour trouver une transposition française. Un vide que vient combler cette luxueuse production.
Ce qui happe d'emblée, c'est la noirceur de la proposition. La superbe photographie du Québécois Nicolas Bolduc tâte le réalisme sauvage, révélant un siècle - le 17e - particulièrement trouble et austère. Une guerre de religion fait rage en France et ses conséquences s'expriment à l'écran par ses textures et couleurs délavées qui évoquent des peintures de l'époque. Un sentiment de véracité qui est renforcé par l'utilisation de décors riches et variés.
Puis c'est la réalisation de Martin Bourboulon qui prend le relais. Le cinéaste n'avait jamais impressionné par son cinéma, qui inclut le mièvre Eiffel et les deux cocasses tomes de Papa ou maman. Cela commence à changer. Sa mise en scène d'une redoutable efficacité en met rapidement plein la vue et les oreilles. Ses spectaculaires morceaux de bravoure et d'action multiplient les plans séquences impressionnants qui rivent le spectateur à son siège, tandis que la musique omniprésente de Guillaume Roussel - en mode Hans Zimmer - dynamise un récit sans temps mort. L'influence d'un Chistopher Nolan ou de Game of Thrones se font ressentir sans que cela nuise au plaisir éprouvé.
Le contenant est tellement soigné qu'on finit presque par oublier son contenu. Les scénaristes Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte (qui ont travaillé sur le délicieux Le prénom) ont actualisé les écrits de Dumas, les rendant plus modernes et féministes. En revanche, ils ont coupé les coins ronds afin de tout miser sur le divertissement. Il faudra alors dire adieu à la subtilité, à la profondeur et à la complexité du texte original. Les péripéties télégraphiées deviennent donc de simples prétextes à une poursuite ou à un affrontement.
Là où le film frappe fort, c'est dans son casting. La distribution admirable et presque sans fausse note réunit à la même enseigne les vedettes et les jeunes acteurs tout aussi talentueux. Vincent Cassel incarne un magnifique Athos au bout du rouleau, Romain Duris est magnétique en Aramis sadique et Pio Marmaï campe un charismatique Porthos qui aimerait se nourrir de tout ce qui l'entoure.
Moins intéressant, car beaucoup trop lisse et sage, François Civil tente du mieux qu'il peut de porter le difficile rôle-titre. Son amourette avec Constance (incarnée par la toujours excellente Lyna Khoudri) prend cependant beaucoup trop de place. Le romantisme est une des clés du script et ses propensions kitsch en saouleront plus d'un. Un constat qui s'impose également lorsqu'il est question d'Anne d'Autriche (après Corsage, personne ne porte mieux les costumes d'époque que Vicky Krieps) et du roi Louis XII (hilarant Louis Garrel). Un humour truculent pimente d'ailleurs les répliques, évitant à l'ensemble de trop se prendre au sérieux.
Et Milady de Winter dans tout ça? Eva Green apporte mystère et ambiguïté à ce personnage trouble qui sera certainement mieux exploité dans sa suite qui porte son nom et qui prendra l'affiche en décembre prochain. Ce sera sans doute le cas aussi du Cardinal de Richelieu, peu présent à l'écran, et dont la présence d'Éric Ruf n'éclipse jamais celle de Tim Curry, inoubliable dans le banal film de 1993.
Les trois mousquetaires: D'Artagnan rappelle qu'il se fait du très bon cinéma populaire. Épique à souhait, le film amuse et divertit amplement, et s'il se veut parfois trop superficiel et sentimental, sa force de frappe impose le respect et maintient toujours l'intérêt. De quoi attendre sa suite avec impatience.