Important. C'est le terme qui reviendra le plus souvent dans les critiques, les entrevues et les publicités qui traitent de Suffragette. Le film oubliable au possible n'est pas important: il s'intéresse seulement à un sujet important. Grosse différence! S'il est louable et même nécessaire de rappeler les combats des femmes pour faire avancer leurs droits dans le Londres du début du 20e siècle, le résultat cinématographique n'est guère édifiant.
En fait, Suffragette souffre d'à peu près tous les défauts possibles et inimaginables. Il est lourd, manipulateur, moralisateur, manichéen, misérabiliste, etc. Le long métrage reprend un fait historique en créant de toute pièce 90% des personnages. La totale arrive à notre héroïne et à son entourage (pression sociale et familiale, harcèlement sexuel, violence physique qui va du mauvais traitement à la torture et alouette) qui évoluent évidemment dans des univers monochromes, gris et sales. Un enfant est utilisé pour soutirer des larmes et lorsque tout va mal, les victimes sont filmées en plans rapprochés, larmes et yeux de labrador à l'appui.
Le tout sur des mélodies consternantes d'Alexandre Desplat qui, utilisées autrement, auraient valu leur pesant d'or. Le scénario d'Abi Morgan - que l'on a déjà connue plus allumée sur l'éblouissant Shame et l'excellente série télévisée The Hour - est d'une simplicité déconcertante et la finale offre son lot attendu d'images d'archives, de notes didactiques et même une liste de pays et de dates où le droit de vote a été accordé aux femmes. De quoi faire rager (avec raison) le spectateur en lui rappelant que les combats ne sont pas terminés, mais dont l'inclusion est, sur le plan artistique, terriblement douteuse.
Il n'y a que deux éléments à sauver de cette longue thèse conventionnelle et ronflante. Carey Mulligan est toute une actrice (ça on le savait déjà) et elle le confirme à nouveau en apportant coeur et âme à un personnage tellement lisse et mince qu'il risque de s'envoler à chaque instant. Elle est cependant la seule à se démener comme un diable dans l'eau bénite : le reste de l'imposante distribution ayant rendu les armes depuis longtemps. Entre Brendan Gleeson qui semble toujours jouer le même rôle, Ben Whishaw qui perd toute crédibilité avec sa fausse moustache et Helena Bonham Carter qui fronce les sourcils et soupire comme dans un mauvais Tim Burton, l'ennui est palpable. Ce n'est pas l'apparition de deux minutes de Meryl Streep et son discours pompeux qui changera la donne. Sa présence ne fait que rappeler Silkwood, cet autre effort sous fond de militantisme où elle partageait la vedette avec Kurt Russell et Cher et qui s'avérait beaucoup plus prenant.
Quelques scènes de foule et de manifestations qui tournent mal sont également intéressantes dans leur composition et leur impact aurait facilement pu être décuplé. Elles n'ont pas besoin d'être aussi imaginatives que chez Eisenstein ou réalistes comme dans La bataille d'Alger, mais seulement de créer un semblant de suspense. Un sentiment de chaos que l'on retrouvait notamment dans le Bloody Sunday de Paul Greengrass. Une qualité rare qui n'est pas à la portée de la cinéaste Sarah Gavron (à qui l'on doit Brick Lane, un autre récit féministe bien peu convaincant) qui est incapable de recréer le style nerveux et tendu des documentaires qui ont fait sa marque de commerce.
Suffragette est donc un peu l'antithèse de l'incroyable Selma: une leçon d'histoire qui n'a pratiquement rien à voir avec le cinéma et qui emprunte constamment la voie de la facilité. Un grand film reste à faire sur ce sujet qui est d'une importance capitale.