Il n'y a parfois rien de plus rafraîchissant que les premiers films. Un vent de liberté et d'innocence souffle souvent sur ces efforts. C'est le cas des Scènes fortuites qui a été écrit et réalisé par le Québécois Guillaume Lambert.
À priori, il s'agit d'une oeuvre sur le cinéma comme il y en a tant. Incapable de vendre son long métrage, notre héros (Guillaume Lambert) est en proie à une crise existentielle. On n'est pas tant dans la manifestation idéalisée du septième art - ce n'est pas La nuit américaine de François Truffaut - que dans sa quasi-impossibilité de concrétisation selon ses propres choix et valeurs. Il faut absolument trouver un sens à l'histoire, privilégier un schéma narratif classique, opter pour un acteur estimé afin de faire les festivals (ici Denis Lavant, un des dieux des cinéphiles), argumenter avec le distributeur qui veut un projet plus vendeur avec des blagues douteuses parce que « tout le monde aime ça du caca », etc.
L'univers de la parodie alterne donc entre la fiction et la réalité. On se moque allègrement de notre époque vide et ennuyante en appuyant sur moult détails : les demandes spéciales de chansons à la radio, les obsessions pour les chats, le désir absolu d'être en couple et patati et patata. C'est parfois très drôle, avec des répliques savoureuses qui semblent provenir de la tête de Stéphane Lafleur. Et cela peut s'étirer en longueur, résultant d'un montage qui aurait pu être retravaillé.
Ce qui débute comme un long clin d'oeil appuyé à l'imaginaire de Xavier Dolan touche rapidement un mur, obligeant le scénario à se repositionner. S'il privilégie toujours un humour absurde, son transfert vers le drame lui permet d'offrir les meilleurs moments. C'est là qu'on palpe enfin le malaise, la solitude qui afflige les gens, devenant tangible lors de la course effrénée d'un personnage secondaire, de l'engueulade au grand air d'un frère et d'une soeur, ou de la scène tardive du mariage. De quoi amener une certaine consistance à un récit qui était jusque-là mince, ludique et, il faut l'avouer, un peu facile.
Évidemment, le film excuse ses propres faiblesses - errance à mi-chemin, manque d'éclat et prévisibilité du script - en les mentionnant préalablement. S'il est difficile de matérialiser de la magie à l'écran (au grand dam de cet individu qui baigne dans la distribution), c'est plus évident de transformer, l'espace de quelques instants, notre protagoniste en prestidigitateur. L'ensemble possède également un côté méta qui en fera sourire plus d'un. Par exemple, un classique de François Pérusse agit comme un baume pour des êtres blessés. Puis on voit l'humoriste faire la morale (ou donner un conseil de bonheur, c'est selon) en rappelant qu'il doublait un Père Noël norvégien. Avant d'apprendre au générique final que c'est lui qui assurait la narration!
Cette omniprésente voix hors champ est d'ailleurs un des processus de mise en scène de Lambert, qui s'est beaucoup inspiré de la Nouvelle Vague avec ses mélodies jazzées. Il y a même des citations de gens connus, comme dans les opus de Jean-Luc Godard! Cela ne l'empêche pas d'offrir une réalisation généralement discrète, où le dialogue est roi. Le comédien campe un être narcissique avec une aisance incroyable, comme s'il avait fait ça toute sa vie. Il sait surtout très bien s'entourer à l'écran. Le casting a beau réunir une impressionnante distribution pour de simples apparitions remarquées - Alexandre Goyette, Bianca Gervais, Jean-Carl Boucher, Marie-Chantal Perron, Monia Chokri, Éric Bernier qui rappelle que l'ombre de la série télévisée Tout sur moi n'est jamais bien loin -, quelques noms sortent du lot. C'est le cas de Valérie Cadieux, parfaite en frangine cynique, et de Sarianne Cormier, délectable en collègue de travail.
Alors que le héros du film cherche à réaliser une comédie intelligente, le cinéaste Guillaume Lambert exauce son souhait avec Les scènes fortuites. Malgré toutes les imperfections du débutant, de grands et de petits bonheurs se dégagent de cette création. Voilà un talent que l'on voudra suivre et qui ne peut que se développer au fil des années.