Lorsque le septième art québécois ose, il peut aller très loin. C'est le cas de Les salopes ou le sucre naturel de la peau de Renée Beaulieu, un des films les plus audacieux des dernières années.
Déjà le titre donne la puce à l'oreille. Mais ce n'est rien face au résultat en place où une scientifique (Brigitte Poupart), mère et épouse en apparence comblée, suit ses pulsions en multipliant les fréquentations sexuelles. C'est l'émancipation d'une femme dans un monde d'hommes, qui se permet d'écouter ses désirs.
Il ne devrait rien y avoir de choquant là-dedans. Place au quotidien dans ce qu'il a de plus banal et ordinaire. Sauf que cela n'a pratiquement jamais été abordé et surtout montré d'un point de vue féminin dans notre cinéma national. L'inverse si, étant même la norme la plus affligeante. Deux poids, deux mesures? C'est ce que s'applique à démontrer cet objet libre qui renverse les clichés et les stéréotypes.
L'envie de provoquer n'est jamais bien loin. Sauf que contrairement au simpliste Charlotte a du fun, il y a une réelle réflexion derrière cela. Entre dévoiler, abondamment, la rencontre sexuelle, au sein de scènes parfois redondantes, on note une certaine transgression des normes et des moeurs d'une moralité judéo-chrétienne. Tout n'est évidemment pas noir ou blanc, alors qu'on explore au passage des thèmes complexes que sont la sexualité des adolescentes et les rapports de pouvoir entre un professeur et son étudiant. Cela peut donner des moments plus ambigus, surtout en cette période de #metoo, mais qui finissent par renforcer le propos de son auteure.
En liant ou opposant la science du corps à la sensualité de la chair, le scénario offre un stimulant discours intellectuel sur la pensée et la matière. Il n'enferme toutefois pas son action dans des dialogues statiques/cliniques (ce n'est pas Le déclin de l'empire américain, dont la présence de Louise Portal en figure maternelle s'avère un joli clin d'oeil), montrant au contraire ce qui anime son héroïne. On filme ainsi les pulsions de vie en toute simplicité, faisant ressortir cette beauté presque palpable. Le sexe est abordé de front, lors de longs plans où le montage ne découpe jamais le corps de la femme. La caméra fluide n'est pas voyeuse, mais complice, comme ce témoin naturel qui est là parce que c'est normal de l'être. Une propension naturaliste propre à la façon de travailler de la cinéaste Renée Beauleu (elle est beaucoup plus inspirée ici que sur son précédent Le garagiste), qui fait énormément avec peu, même si les élans musicaux- jamais bien loin de la jouissance animale - finissent par faire sourire par leur répétition appuyée.
Tout cela n'aurait jamais été possible sans la dévotion totale de Brigitte Poupard, qui a enfin la chance de briller dans un premier rôle au cinéma. L'actrice se met à nu dans tous les sens du terme, puisant au plus profond d'elle-même pour offrir un personnage fascinant, imparfait dans ses contradictions, mais profondément humain. Une grande performance qui lui méritera à coup sûr son lot de nominations. Elle est entourée de partenaires vigoureux, qui s'investissent totalement malgré la brièveté de certaines scènes.
Au sein d'une année 2018 où le septième art québécois a surtout montré sa verve dans le documentaire (l'exception étant Chien de garde de Sophie Dupuis), Les salopes et le sucre naturel de la peau offre tout un électrochoc. Enfin un film qui s'intéresse au plaisir féminin en montrant les vraies affaires, sans tout enrober de dentelle et de morales douteuses! On risque d'en parler longuement dans les chaumières et ce serait tant mieux. Seulement pour changer un tant soit peu les mentalités sur le plan personnel, collectif, affectif et cinématographique.