Pendant que son amoureux Noah Baumbach obtient un succès fou grâce à Marriage Story, Greta Gerwig signe le projet parfait pour Noël avec Little Women.
Ce chef-d'oeuvre littéraire de Louisa May Alcott n'a plus de secret pour personne. On y suit les tribulations sentimentales de quatre soeurs dans la Nouvelle-Angleterre des années 1860. Les adaptations cinématographiques furent nombreuses, la plus réussie demeurant certainement celle de 1933 mettant en vedette Katharine Hepburn.
La cinéaste a toutefois trouvé une façon ingénieuse de s'émanciper en apportant de la nouvelle eau au moulin. Du schéma classique, elle fait éclater la narration, pigeant aisément au sein des deux tomes de l'auteure. Passé et présent se superposent constamment, se répondant grâce à un intelligent montage dont l'écho des ellipses impressionne allègrement. Le procédé pourrait paraître inutilement complexe s'il n'était pas aussi fluide, alors que l'admirable photographie de Yorick Le Saux - qui a travaillé sur les derniers longs métrages d'Olivier Assayas - passe du chaud au froid selon la temporalité.
Un processus qui permet de renforcer l'épaisseur psychologique des personnages, d'alimenter leurs feux intérieurs et de rendre palpables ces rêves trop souvent brimés par les conventions sociales de l'époque. Plus féministe que l'opus original, le scénario dense explore la complexité féminine sans le moindre jugement, se jouant habilement des codes et clichés répandus. De cette magnifique première scène qui montre une femme de dos nappée dans l'ombre, l'effort se termine en la dévoilant au grand jour, de face, pour que le spectateur assiste à sa victoire, des luttes menées qui sont loin d'être terminées.
Tout cela passe évidemment par un casting impeccable, des premiers (Timothée Chalamet, Emma Watson) aux seconds rôles (Laura Dern, Meryl Streep, Chris Cooper). Deux interprètes sortent particulièrement du lot. Jo, évidemment, dont la fougue naturelle de Saoirse Ronan lui va comme un gant. Il s'agit de l'étalon de la famille March, de cette liberté acquise au prix de la solitude. L'actrice brille haut la main, bien qu'elle se fasse voler la vedette par Florence Pugh. L'espiègle Amy a toujours été l'être le plus détestable du clan et l'inoubliable héroïne de Midsommar et de Lady Macbeth lui apporte une sensibilité et une humanité inédite, faisant dérouler la longue liste de dilemmes moraux qui la hantent, que ce soient l'amour, le mariage, l'argent et les aspirations.
Bénéficiant d'un lustre technique sans égal et d'une réalisation dynamique, l'ensemble prêche par sa durée excessive, se perdant régulièrement en cours de route dans des détours romanesques poussifs et vieillots. C'est pour mieux revenir en force à la toute fin avec une conclusion phénoménale, drôle et bouleversante à la fois, qui rend la monnaie de sa pièce au patriarcat en place. Celui-là même qui régit la société et dicte ce qu'il faut écrire, ce qui se vend. Une métaphore puissante et un pied de nez, justement, à cette industrie - peu importe laquelle - où un créateur se sent obligé de faire des concessions en se détroussant de son âme.
Greta Gerwig n'a pas eu à le faire avec son second film Little Women, dont le récit ambitieux et divertissant célèbre, comme dans son précédent et supérieur Lady Bird, la notion de famille et d'indépendance. En voilà une dont le destin de metteure en scène est déjà tout tracé.