Telle une Déméter des temps modernes, Sofia Coppola continue à labourer son terrain de jeu cinématographique qui est reconnaissable entre tous et qu'on se plaît à revisiter.
Avec The Beguiled, elle s'approprie le roman de Thomas P. Cullinan, qui a déjà donné une stupéfiante adaptation de Don Siegel avec Clint Eastwood. Mais contrairement au film de 1971, la fille de Francis Ford a décidé d'éliminer les éléments les plus sensibles (misogynie, inceste, pédophilie latente, relation ambiguë avec un personnage afro-américain) pour se concentrer sur un univers presque exclusivement féminin. Un choix qui pourrait paraître aseptisé aux yeux de certains.
Difficile de ne pas se sentir en terrain familier. Le long métrage reprend la prémisse de son Virgin Suicides - son chef-d'oeuvre personnel - en la modifiant quelque peu au passage. Il est toujours question d'une bande de femmes et de filles obnubilées par un homme. Elles feront tout pour le traiter aux petits soins... et même plus encore. La tension sexuelle est présente dans presque tous les plans et la réalisatrice développe une ambiance et une atmosphère assez particulières. Sa mise en scène judicieusement récompensée au dernier Festival de Cannes joue de finesse et d'érotisme (pratiquement tout est éclairé à la chandelle!), multipliant les symboles et les métaphores à plus finir. Ses magnifiques plans de forêts tout en candeur et en volupté finissent même par évoquer le lyrisme inoubliable de Picnic at Hanging Rock de Peter Weir.
L'essence de son cinéma se retrouve partout au sein de cette oeuvre élégante et racée. Le rythme suspendu permet à l'ennui de s'installer progressivement, rappelant du coup comment le quotidien peut peser sur les personnages. La guerre civile en filigrane n'arrive d'ailleurs pas à les sortir de leur marasme. Seule une présence masculine finit par les troubler... On découvre au passage un désir de la cinéaste à pousser la comédie encore plus loin que sur son sous-estimé Somewhere et son superficiel The Bling Ring. Un humour qui fonctionne de façon surprenante.
Le drame souffre malheureusement d'une trop courte durée qui ne permet pas d'explorer en profondeur ses nombreux thèmes et le désarroi de ses êtres. La psychologie des individus demeure sommaire et on sent que les excellentes comédiennes - Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning - sont prisonnières de ces canevas. C'est également le cas de Colin Farrell, dont le charisme naturel ne fonctionne pas toujours. Le passage abrupt vers la violence n'aide pas à rendre crédibles ces âmes solitaires. Tout le contraire du merveilleux dernier plan, à jeter littéralement par terre.
Loin de faire l'unanimité (comme Lost in Translation) ou de diviser (tel Marie Antoinette), The Beguiled vise une zone plus consensuelle, où la beauté des images prend parfois le dessus sur un contenu rachitique. Sofia Coppola demeure toutefois toute une directrice d'acteurs et ce sont eux qui permettent de solidifier le récit et de le rendre aussi intéressant.