Il n'y a probablement rien de plus réconfortant que le cinéma intime de Mikhaël Hers. Calme, sensible et bienveillant, son art invite au recueillement.
À l'instar de ses magnifiques prédécesseurs Ce sentiment de l'été et Amanda, Les passagers de la nuit traite de sujets sombres et graves - séparation, dépendance, fin d'une époque - en laissant constamment la lumière triompher. Afin de renaître de ses cendres et de ressouder le cocon familial, il faut créer des liens avec les autres. C'est ce que fait une mère monoparentale (Charlotte Gainsbourg) en accueillant chez elle une jeune femme (Noée Abita) sans domicile fixe.
Entre chronique douce-amère et récit d'apprentissage classique, ce long métrage arpente des chemins balisés. Il le fait toutefois avec authenticité, reléguant sa narrativité au vestiaire pour mieux embrasser la poésie du quotidien. Ce sont ces transitions souvent imperceptibles et ces petits riens qui enchantent au plus haut point, rendant le coeur plus léger, émouvant par les mélodies entêtantes d'Anton Sarko.
Se déroulant dans le Paris des années 1980, l'action débute en trombe par le sacre de François Mitterrand. Une entrée en matière parsemée d'espoir qui laisse sa place à une phase de désenchantement puis à des lendemains plus cléments. Ce procédé pourrait paraître conventionnel et mécanique s'il était uniquement utilisé à des fins nostalgiques. Malgré une recréation d'époque impressionnante, l'inclusion d'archives révélatrices et une bande sonore impeccable (qui va de Kim Wilde à Television), les enjeux personnels deviennent rapidement universels.
C'est ce temps qui passe et qui n'épargne rien ni personne. Un cheminement proustien teinté de mélancolie, alors que l'existence n'a pas nécessairement été celle prévue et que les enfants vont bientôt quitter la maison. Des errances parisiennes parsemées de surprises, à l'instar de ces figures en chair et en os qui se cherchent constamment. La conclusion, plus didactique et littéraire, tend à éclaircir certains mystères et sentiments, décuplant pourtant la puissante charge émotive.
Tous excellents, les comédiens évoluent autour de deux pôles fédérateurs. Celui défendu par Charlotte Gainsbourg, impulsion du long métrage, se sert parfois seulement de sa voix pour nuancer ses états d'âme. Pas surprenant qu'elle va finir par forger son identité en travaillant à une radio de nuit, aux côtés d'une animatrice chevronnée incarnée par Emmanuelle Béart. Une rencontre au sommet entre deux actrices d'exception.
Puis il y a la conscience de l'ouvrage, qui apparaît sous les traits de Noée Abita, découverte dans l'exceptionnel Ava et confirmée grâce aux excellents Genèse et Slalom. Ce personnage représente toutes les possibilités de la jeunesse, ses sommets vertigineux jusqu'aux bas-fonds abyssaux. D'une clairvoyance sidérante, le scénario établit un lien magnifique entre cette présence insaisissable et celle fantomatique de Pascale Ogier, une interprète décédée en 1984 dans la fleur de l'âge à 25 ans. Un transfert qui s'opère par le long métrage Les nuits de la pleine lune (Mikhaël Hers est un admirateur d'Éric Rohmer) et qui permet d'élargir plus globalement sur la façon dont le cinéma s'inscrit dans l'ADN de chaque personne et l'impact d'un film qui n'est pas toujours immédiat.
Ce n'est toutefois pas le cas de Les passagers de la nuit qui fait passer par toute la gamme des sentiments avec une élégance rare. Quand vient cette danse tardive sur les airs de Joe Dassin, il sera difficile de réfréner ses larmes tant la beauté s'est emparée de la douleur pour la transformer en douceur.