Les films à sketchs ont mauvaise réputation. Assembler différents courts métrages est un art où il y a toujours des segments inférieurs. Qu'ils soient réalisés par plusieurs grands cinéastes ou par un inconnu, le résultat est généralement inégal. Les nouveaux sauvages représente l'exception salvatrice qui confirme la règle.
Présenté en compétition officielle à Cannes et sélectionné aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, cet immense succès argentin mange de la vengeance pour déjeuner. Ce thème vieux comme le monde est revenu en force dans le cinéma sud-coréen de la dernière décennie et il atteint ici des sommets.
Personne n'est à l'abri. La société se trouve au bord du gouffre. La morale gangrène l'âme et même si l'humain est fondamentalement bon, sa réaction face à l'adversité est loin d'être vertueuse. Lorsque le destin se dresse contre nous, s'en libérer par la violence peut être cathartique. Surtout à cette époque de morosité et d'austérité.
C'est justement ce que proposent ces six courtes histoires subversives qui ne font pas toujours dans la subtilité, mais qui sont hilarantes et terrifiantes tout à la fois, trucidant les institutions avec un malin plaisir. Les critiques risquent de ne pas la trouver drôle. Ni les chauffeurs qui se croient tout permis. Des mauvais mots finissent irrémédiablement par se retourner contre nous. Tout comme les infidélités avant le mariage. Le peuple ne peut éviter ce système kafkaïen, encore moins les bourgeois qui utilisent l'argent pour se sortir du pétrin.
Devant tant de méchanceté et de sadisme, il n'est pas évident de se laisser aller aux rires. Il ne faut pourtant pas résister. L'humour est noir, outrageant, rude, désespéré et c'est justement ce qui fait sa force. En grossissant les situations, en élevant la satire jusqu'à l'absurde, le scénario rend limpide les malaises de la condition humaine, ne sacrifiant pas pour autant le gag outrancier qui fait tant de bien. De quoi retrouver le ton unique de ces comédies italiennes des années 60 et 70 qui étaient menées par les Rossi, Lattuada, Germi, Monicelli et autres Ferreri.
Le récit parfois grossier ne verse pas dans la finesse. Il s'adresse d'abord et avant tout aux bas instincts, esthétisant les actes barbares au moyen d'une mise en scène léchée qui n'est pas très éloignée de l'exercice de style. Son cinéaste Damian Szifron vient du monde de la publicité et c'est ce style vulgaire qu'il utilise, ce qui finit ironiquement par créer une harmonie avec les thèmes explorés, la bassesse des êtres et les moyens qu'ils utilisent pour se soulager.
Personne n'est épargné au sein de ce délire certes mineur, facile et complaisant qui comporte néanmoins son lot de séquences cultes et mémorables. Dès la jubilatoire introduction dans l'avion qui en dit et fait déjà plus que le décevant Les amants passagers de Pedro Almodovar (qui agit ici en tant que producteur), on sait que tout peut arriver. Et les surprises font partie des ingrédients de ce sombre et vivifiant cocktail vitaminé qui sort de l'ordinaire et qui s'avère le meilleur film à sketchs depuis les Contes de l'age d'or. Les sauvages sont partout et ils attendent la moindre occasion pour se débarrasser de leur masque humain et laisser la bête prendre le dessus.