The Bikeriders est précisément le genre de grands petits films auxquels le cinéma hollywoodien devrait accorder davantage d'importance par les temps qui courent.
Un divertissement diablement efficace, relevé par l'approche dramatique étoffée, mais décontractée, et la mise en scène parfaitement maîtrisée de l'excellent Jeff Nichols (Take Shelter, Mud, Midnight Special), proposant une incursion exaltante au coeur d'un groupe de « rebelles sans cause » ne vivant que pour leur moto, leurs frères d'armes, la bière, le whisky et une bonne bagarre de temps à autre.
Mais une savante étude de personnages finit aussi par ressortir de cette recherche d'une liberté sans compromis, en particulier en ces temps où l'essence de la masculinité est constamment décortiquée et remise en question.
Heureusement, le scénario de Nichols ne se laisse jamais emporter par une morale facile ou - pire encore - une volonté de porter un regard un peu trop teinté par les sensibilités d'aujourd'hui sur des individus appartenant à une époque révolue.
Le cinéaste joue néanmoins de finesse en racontant la brève histoire des Vandals à travers les entrevues réalisées par un aspirant photographe (Mike Faist, vu récemment dans Challengers) avec Kathy (formidable Jodie Comer), l'épouse de Benny (Austin Butler), un motard aussi indomptable et téméraire que nous puissions l'imaginer.
Originaires de la région de Chicago, les Vandals sont dirigés par Johnny (Tom Hardy, dans l'un de ses meilleurs rôles depuis belle lurette), qui a su rassembler au fil du temps des hommes n'arrivant pas à trouver leur place dans l'Amérique des années 1960. Des individus ne désirant pas obéir aux règles de la société, mais n'ayant aucune difficulté à se conformer à celles de leur deuxième famille - et, croyez-nous, tout ce beau monde n'est pas à une contradiction près. Une meute que Johnny présentera d'ailleurs à Kathy comme étant, certes, des ours mal léchés, mais qui sont aussi beaucoup plus dociles qu'ils le laissent croire.
Évidemment, The Bikeriders se démarque dans un premier temps par sa reconstitution d'époque minutieuse, mais jamais trop chargée. Celle-ci est enveloppée par une excellente trame sonore qui ose piger dans des registres un peu moins communs, puis ensevelie sous les bruits de bécanes aussi pénétrants que menaçants.
La façon dont le film donne la parole à des êtres n'ayant pas l'habitude d'obtenir le crachoire fait également ressortir une vision du monde beaucoup plus torturée, reflétant une réalité sociale dont il peut être assez difficile de s'affranchir - en particulier à cette époque.
Et il y a ensuite la colle qui unit ces fiers voyous prenant de plus en plus conscience de la force de leur nombre. Un constat qui rendra Johnny plus impitoyable, mais qui l'effraiera tout autant. Ce dernier réalisera alors quel chemin sa création est condamnée à emprunter, se sachant incapable d'assurer le rôle de leader lors de ce changement fatidique, mais prêt à tout malgré tout pour protéger son honneur et défendre ses alliés.
À mesure que le gang prend de l'ampleur et que son influence s'étend à travers le Midwest américain, Nichols en profite pour se pencher une autre conséquence de la guerre du Vietnam, avec le retour de soldats que l'expérience de guerre a rendus beaucoup plus violents et imprévisibles, mais que la société a complètement laissé tomber.
Un baril de poudre n'attendant qu'un malfrat assez déterminé pour y lancer une allumette, et capitaliser sur l'image déjà peu reluisante des motards dans l'imaginaire collectif à des fins encore moins catholiques.
Nichols fait également ce qu'il faut pour s'éloigner du schéma narratif traditionnel du « rise and fall ». Ce dernier nous amène à la fin d'une époque, à la rencontre d'un groupe dont les principales motivations étaient la liberté, la fratrie et les querelles de cour d'école - si ladite cour d'école s'étalait sur quelques états. Surtout, le cinéaste nous présente des hommes entêtés, mais pleinement conscients de leurs propres limites.
La dispute entre Johnny et Kathy en ce qui a trait à l'avenir de Benny n'en devient du coup que plus significative. L'un veut voir ce dernier continuer de foncer comme un taureau sauvage en sachant pertinemment ce à quoi il carbure, l'autre le pressant de prendre un virage qu'il n'est pas encore capable de trouver.
Encore ici, Nichols fait preuve d'une grande clairvoyance dans les choix effectués ultimement par ses protagonistes.
On peut sortir le gars du club de motards, mais peut-on sortir le club de motards du gars? Et si oui, à quel prix? La réponse s'impose parfois d'elle-même...
Soutenu par une distribution de premier ordre mettant superbement en évidence les multiples facettes de chacun des personnages, Jeff Nichols poursuit son parcours sans faute avec un nouveau récit explorant avec autant de soin, de caractère et de sensibilité un univers qui, pour sa part, ne peut que demeurer à l'état brut.