Les manèges humains, troisième long métrage de Martin Laroche (mais son premier distribué dans les salles conventionnelles), démontre une audace, à la fois thématique et formelle, qui le distingue de bien d'autres films québécois. Sans dire que tout tombe parfaitement en place, il faut absolument souligner cette volonté de participer à la vitalité cinématographique québécoise en proposant de nouveaux amalgames et cette quête de nouveaux sens, qui utilise la caméra intradigétique (c'est-à-dire qu'elle est « à l'intérieur » du film, qu'elle est reconnue par les personnages qui la manipulent) pour ajouter au propos.
Si ce procédé n'est plus révolutionnaire (Chronicle en faisait d'ailleurs un excellent usage récemment), il est ici particulièrement bien adapté au sujet et bien justifié (ce qui n'est pas toujours évident). Par ce procédé, tout, des émotions aux retournements dramatiques, se dévoile plus lentement, plus subtilement; les émotions, décadrées, tordues, ne sont ainsi pas mélodramatiques (alors que c'était un risque important). Le long métrage n'évite tout de même pas les longueurs et quelques flottements, mais cela demeure assez mineur.
Le fait que le sujet, le drame d'une jeune femme pour vivre normalement malgré une excision, soit aussi inédit rend cette découverte brutalement émotive, sans que le réalisateur n'insiste inutilement. Les émotions sont à saisir, et elles sont nombreuses et diversifiées, en particulier grâce à l'interprétation sentie de Marie-Evelyne Lessard, dans le rôle principal de Sophie. Et c'est là que l'idée d'une caméra manipulée par les personnages - donc nécessairement « imparfaite », désacralisée, désesthétisée - prend tout son sens, en rendant plus supportable la violence de sa quête, qui pourrait bien passer pour incompréhensible et appuyée autrement.
Ce qui fait de ce film une oeuvre plus prenante encore, cependant, c'est le soin apporté aux personnages secondaires, en particulier celui de Normand, dont la complexité n'a d'égal que la performance époustouflante de Normand Daoust; subtile et bouleversante, sa prestation évite de nombreux pièges pour demeurer crédible. Les autres acteurs de soutien impressionnent aussi par leur naturel; donnons une part du mérite au réalisateur pour sa direction compétente et dédiée au réalisme.
Une impression de réalisme qui n'est pas étrangère au portrait fin que fait Martin Laroche de cet univers d'un parc d'attractions et de la complicité qui lie le groupe et où tout n'est pas « tragique ». Que les personnages nous paraissent si crédibles et responsables rend d'autant plus fortement cette idée de respect des émotions et du spectateur, qui sert ici brillamment le propos.
Les manèges humains, de par son exécution particulièrement habile, son propos audacieux et sa recherche formelle cohérente, est une oeuvre qui mérite véritablement une attention particulière.