Le comic book étant cité par plusieurs créateurs actuels comme une source d'inspiration, le passage au cinéma de Les gardiens initiait son lot de craintes et d'incertitudes. Or, c'est une évidence que la société postmoderne, aux prises avec de graves problèmes identitaires, influence grandement la notion de super-héros pour n'en conserver que le « héros » alcoolique, seul, vieillissant et rejeté. C'est là, dans un élan de génie pur, que s'amorce cette histoire aux thèmes forts, aux questionnements éloquents et aux personnages riches ancrés dans le rêve américain. Et il faut se rendre à l'évidence : Les gardiens, c'était du cinéma avant d'être porté à l'écran, c'était cinématographique avant d'exister sur pellicule.
En 1985, dans une Amérique alternative sur le point de basculer en pleine Troisième Guerre mondiale, le héros déchu Rorschach tente d'aviser ses anciens collègues que l'assassinant du Comédien cache un complot à grande échelle visant à les exterminer. Pendant que le Dr. Manhattan, capable de manipuler les objets selon sa volonté et dernier espoir de l'humanité si la guerre nucléaire est déclenchée, remet en doute son appartenance au genre humain, sa compagne Laurie décide de le quitter pour rejoindre Dan, le Nite Owl à la retraite qui refuse de reprendre du service.
Une fois les premières minutes passées - des minutes explicatives un peu simplistes, par obligation plus que par maladresse - le récit se développe vers une histoire complexe et riche, servie par des thèmes forts sur la paranoïa, la justice et la violence. Si certains messages sont exprimés sans grande subtilité, il n'en demeure pas moins que la finale est d'une grande intelligence, remaniant avec succès les clichés habituels du sacrifice et marquant une profonde connaissance de l'humanité. Les raccourcis forcés pour exprimer en un peu moins de trois heures toute la richesse des personnages - qui ont tous droit, à la manière de Sin City, à leur segment et leur flash-back - sont regrettables mais nécessaires et sont réalisés avec beaucoup de flair par Zack Snyder, dont la démonstration des qualités de plasticien n'est plus à faire. Côté direction d'acteur, cependant, il ne peut faire de miracle et bénéficie grandement du talent de Jackie Earle Haley, Matthew Goode, Billy Crudup et Patrick Wilson. Les femmes, abandonnées, manquent de profondeur.
Snyder, qui applique la notion « d'univers parallèle » au pied de la lettre, nous le fait voir à travers des lunettes, des vitres et à l'envers, ajoutant au sentiment d'étrangeté d'un film mature, d'un film de super-héros pour adultes qui n'épargne rien ni personne et qui, dans sa description particulièrement juste de l'humanité, rappelle Les fils de l'homme. Violence et sexe sont montrés sans pudeur puérile, même si Snyder a déjà été plus méticuleux (dans 300, en particulier).
On pourra lancer à Les gardiens à peu près toutes les insultes : prétentieux! complexe! brouillon! Et en effet, le film ne sera pas aussi unanime que Le chevalier noir. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une oeuvre poussant jusqu'à ses extrêmes retranchements la notion de divertissement et qui est réservée à ceux qui ne s'en contentent pas.
Et il faut se rendre à l'évidence : Les gardiens, c'était du cinéma avant d'être porté à l'écran, c'était cinématographique avant d'exister sur pellicule.
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