S'il y a une bande-annonce qui vend mal son film, c'est celle de The Sisters Brothers. On a l'impression qu'il s'agit d'une comédie lourdingue, sorte de Step Brothers au temps des cow-boys. Surtout que John C. Reilly figure à nouveau en tête d'affiche.
Bien qu'il y ait effectivement beaucoup d'humour dans cette adaptation du roman éponyme du Canadien Patrick deWitt qui vient tout juste de remporter le Lion d'Argent à Venise, le ton n'est pas nécessairement à la farce et à la rigolade, mais bien à la violence et à la mélancolie. À travers une odyssée élégiaque, deux frères aux antipodes (Reilly et Joaquin Phoenix) encore coincés au stade de l'enfance pourront finalement grandir en renouant avec ce qu'il leur reste de liens filiaux et familiaux.
À cet effet, la conclusion, d'une immense force dramatique, restera longtemps en tête malgré ses excès sentimentaux. Au même titre que cette scène tardive et presque bucolique où gentils et faux méchants enterrent momentanément la hache de guerre pour trouver, ensemble, de l'or. Ces instants de paix ne dureront qu'un temps et les conflits finiront évidemment par les rattraper. Mais comme portrait de l'Amérique, l'image est frappante.
À première vue, le long métrage embrasse les codes du western. S'il y a effectivement toute la fureur de l'Ouest, les chevauchées tonitruantes et les combats au fusil, les décors spectaculaires ne sont pas ceux de John Ford, mais de Sergio Leone. La tradition revisitée s'incarnait davantage dans le récent et excellent Hostiles de Scott Cooper, alors qu'ici on se retrouve plutôt devant un conte de nature picaresque, qui peut évoquer le souvenir de McCabe & Mrs. Miller, Little Big Man ou The Assassination of Jesse James... dans sa façon d'être à la fois familier et différent.
Ce mélange de genres parfaitement assumé est la base même du cinéma de Jacques Audiard, cet immense réalisateur français qui cumule les fresques (Un prophète, Un héros très discret). Après avoir remporté la Palme d'Or pour Dheepan, il est de retour avec son premier film en langue anglaise, maîtrisé de A à Z. L'oeuvre impressionne sur le plan technique, alors que la photographie exceptionnelle de Benoît Debie (fidèle complice de Gaspar Noé) et la musique attrayante d'Alexandre Desplat en mettent plein la vue et les oreilles. C'est notamment le cas de cette incroyable introduction dans le noir.
Non sans longueur, le récit tarde à trouver son rythme de croisière, passant de l'histoire principale entre frangins à celle d'un chimiste (Riz Ahmed) qui est poursuivi puis défendu par un détective (Jake Gyllenhaal). Les différents destins finiront par se croiser, ce qui donnera les séquences les plus justes et puissantes. Sans nécessairement bien étoffer les personnages (tout le contraire des principaux), le scénario bénéficie d'une distribution éclatante, où Phoenix et Gyllenhaal brillent comme à l'accoutumée. La plus grosse surprise vient du côté de John C. Reilly, qui trouve son plus beau rôle en carrière. Trop souvent considéré comme un simple bouffon, l'acteur au visage attendrissant vibre d'une force nouvelle.
Difficile de se tromper avec autant de talent devant et derrière la caméra. L'amalgame aurait pourtant facilement pu prendre le bord, ce qui est souvent le cas lors de coproductions. Mais non. Jacques Audiard renoue avec ses obsessions personnelles en offrant une création intime et spectaculaire, qui secoue à la fois les fondements de ses personnages et ceux de la terre où ils se trouvent. Voilà un film qui a de bonnes chances de s'imposer à la prochaine cérémonie des Oscars.