« Je n'ai pas fini de te surprendre. » Cette phrase lancée au début des Fleurs oubliées résume parfaitement la carrière d'André Forcier, certainement l'esprit le plus libre et fou de notre cinéma national.
Depuis plus de 50 ans, le Fellini québécois (ou Vigo, Kusturica, Anderson selon la génération) s'abreuve à la source du réalisme magique, créant des oeuvres complètement originales et disjonctées. Des classiques comme L'eau chaude l'eau frette et Au clair de la lune qui résistent au passage du temps. Pour son 15e long métrage, le cinéaste semble être tombé dans la fontaine de jouvence, faisant couler le miel, chanter les morts et se livrant à des séances psychédéliques sur fond d'arc-en-ciel! Le tout en faisant littéralement revivre le fantôme du Frère Marie-Victorin!
Son récit n'aurait pourtant jamais paru aussi immédiat et engagé, traitant de l'état de la planète, de l'environnement, de la mort des abeilles, de l'agriculture transgénique et de l'exploitation de travailleurs mexicains. Tout n'est pas toujours très subtil, ce qui n'empêche pas les situations de faire souvent hurler de rire et les dialogues de charmer l'ouïe avec une prose poétique rappelant un certain Jacques Prévert.
Un regard à priori cynique qui n'est pas dénué d'espoir, la transmission étant au coeur de son art. Elle s'exprime autant devant que derrière la caméra. Devant par l'entremise d'une fidèle famille d'acteurs à qui il fait appel périodiquement. Pensons à son alter ego Roy Dupuis qui semble jouer son propre rôle, Gaston Lepage qui vient toujours soutirer quelques sourires et le roi des méchants Donald Pilon. Entrent de nouvelles têtes chez lui qui évoquent à la fois le passé historique (Yves Jacques est le plus bel exemple de ça) et la jeune génération - Juliette Gosselin, Émile Schneider, Christine Beaulieu, Mylène Mackay - qui était déjà présente dans son plus récent Embrasse-moi comme tu m'aimes. Il s'agit d'une belle palette de personnages. Une communauté tissée serrée se rejoignant pour changer les choses, peu importe sa classe sociale.
Une famille qui vaut également son pesant d'or se retrouve derrière la caméra. Pour la première fois, André Forcier partage la réalisation avec son fils François Pinet-Forcier. Alors qu'on retrouve au scénario ce duo iconoclaste qui est rejoint par maman productrice (Linda Pinet), l'autre fiston (Renaud Pinet-Forcier), un cousin, etc. Une communion qui permet à l'ensemble de s'élever du lot. La mise en scène semble plus luxueuse que sur les précédents efforts, la photographie colorée en met plein la vue - il faut bien prendre soin de souligner la beauté du monde - et les mélodies séduisent amplement les tympans.
Sans doute qu'on retrouve toujours les tics de son auteur, comme ces excès à saveur sexuelle, de romantisme exacerbé, cette caricature de la société et ces jokes de mononcle. Il ne faudrait toutefois pas oublier qu'il s'agit d'une fable satirique et non d'un reflet documentaire de la réalité. Un conte qui se permet de ratisser large en la jouant à la fois cinéma d'auteur et grand public. Comme le dit un des personnages, « c'est beau un homme qui rêve ». Voilà justement la plus grande qualité d'un artiste comme André Forcier.