Dans l'univers de quel cinéaste aimeriez-vous vivre? Cette question passionne les cinéphiles depuis longtemps. Les réponses sont multiples, même si elles tournent généralement autour des mêmes noms, que ce soit Wes Anderson ou Hayao Miyazaki. Mais pourquoi celui d'Aki Kaurismäki ne revient pas plus souvent? N'est-il pas l'un des plus grands cinéastes contemporains, à qui l'on doit certain des films les plus réconfortants du septième art? Son nouveau long métrage, Les feuilles mortes, Prix du Jury à Cannes, le prouve amplement.
En apparence, le monde développé chez le Finlandais ressemble comme deux gouttes d'eau au nôtre. Il est souvent froid et déshumanisé, marqué par le chômage et la solitude. Ses héros et héroïnes, issus du milieu ouvrier, finissent par s'allumer une cigarette ou trouver du réconfort au bar karaoké pour oublier leur avenir prédestiné. Ils sont de plus en plus déconnectés de la réalité, abandonnés par une société mondialisée qui n'en fait qu'à sa tête. Le miroir tendu aux spectateurs est tel que l'éclat finit par les aveugler.
Ses films se révèlent pourtant d'une immense beauté. Sur le simple plan esthétique, une lumière spéciale magnifie les lieux de son aura éclatante. La couleur jaune - qui symbolise la joie, l'amitié et la fête - berce l'écran de sa présence bienveillante. Puis il y a cette mise en scène posée et immédiatement reconnaissable qui enrobe l'âme et le coeur par son regard tendre, par ses mélodies libératrices. L'idéal pour sublimer le quotidien, le rendre plus tolérable.
Derrière cette mélancolie ambiante émane de véritables occasions de s'esclaffer. Tout est sujet à la rigolade, que ce soit les répliques, les situations ou les malentendus. L'humour pince-sans-rire s'avère irrésistible, ayant notamment beaucoup influencé les premiers opus de Stéphane Lafleur. Comme Charles Chaplin avant lui, Aki Kaurismäki marie parfaitement le drame tragique et la comédie ludique, multipliant les occasions de faire pleurer de joie et de bonheur.
Son art relève de sa profonde humanité, de sa foi envers le genre humain. Dans Les feuilles mortes, le réalisateur arrive à rapprocher une femme qui perd toujours son emploi (Alma Pöysti) d'un travailleur alcoolique (Jussi Vatanen) sans jamais les juger. Au contraire, ses personnages inadaptés se révèlent fiers et attachants, d'une humilité qui les honore, gardant la tête haute devant vents et marées. La justesse de l'interprétation n'est évidemment pas étrangère à la réussite de l'entreprise.
Deux choses permettent a ce couple trop mignon de continuer de se lever le matin et de croire que la vie mérite d'être vécue : l'amour et le cinéma. Même s'ils sont souvent séparés - l'idée de ne pas connaître le nom de sa partenaire et de perdre son numéro de téléphone! - par l'adversité, ils continuent à croire en leur bonne étoile. Et lorsqu'ils sont ensemble, le premier réflexe est d'aller s'isoler dans une salle de projection. Dans ce lieu où tout est possible et où les rêves deviennent réalité.
Bien qu'il n'y ait rien qui ressemble davantage à un film d'Aki Kaurismäki qu'un autre film d'Aki Kaurismäki, Les feuilles mortes délaisse les aspirations sociales de ses précédents L'autre côté de l'espoir et Le havre pour renouer avec l'essence de sa trilogie du prolétariat. Si ses créations semblent issues d'une autre époque, c'est pour mieux faire ressortir l'universalité de son propos, rappeler que peu importe ce qui arrive, l'espoir et la poésie seront toujours au rendez-vous. Impossible alors de ne pas vouloir aller vivre dans son univers.